Lors de la 18e édition des Assises du Journalisme de Tours, la Maison des Journalistes organisait deux rencontres entre des de journalistes exilés et des lycéens. L’occasion pour Djenyka Pigerver et Djify Elugba de relater leur parcours tout en sensibilisant un public peu enclin à échanger avec des journalistes.
[par Marie Courtés, publié le 03/04/2025]

Les conférences s’enchainent, les élèves de toutes âges se faufilent entre les stands et les journalistes accoudés aux murs. En ce mardi 11 mars, le Palais des Congrès de Tours est rempli à l’occasion des Assises du Journalisme. La salle Courteline du Palais des Congrès de Tours est encore vide lorsque Djify et Djenyka rentre à l’intérieur. « Le trac est toujours présent avant une échéance, c’est normal » confie Djify. Apprêté d’une chemise blanche cintrée et d’une cravate à motif tartan, ce journaliste originaire de République démocratique du Congo (RDC) est un résident de la Maison des Journalistes depuis février 2025.
C’est la première fois que Djify évoquera son parcours d’exil publiquement. « La salle est grande, tu penses qu’elle sera entièrement remplie ? » demande nerveusement Djenyka Pigerver, journaliste haïtienne déjà habituée à l’exercice. Après plusieurs tergiversations, celle-ci se décide et prend place sur le siège de gauche. Au pas de la porte, un professeur s’adresse à ses élèves. Une première salve de lycéens rentre, le professeur s’empresse de les interrompre : “Qu’est-ce que je vous ai dit ! Non pas au fond, mettez-vous devant ” chuchote-t-il agacé. Les adolescents rentrent au fur et à mesure, une poignée d’entre eux parviennent malgré tout à se placer dans le fond de la salle.
Journaliste, présentatrice, spécialiste des droits des femmes et des filles, Djenyka s’efforce de relater le quotidien de ces dernières dans un pays qui voit l’expansion et le pouvoir des gangs s’accroître de jour en jour. Face à ce contexte chaotique, elle rencontre les femmes au sein de camps de déplacés internes : “ Dans ces camps, la nourriture est gardée par des policiers souvent corrompus. Sur place, elles sont réduites à se prostituer si elles veulent s’alimenter ” explique-t-elle. À ces mots, une lycéenne fronce les sourcils, se tourne, attendant une réaction de son amie. Leurs regards ne se croisent pas, le visage de sa camarade recouvert de longues mèches bouclées persiste à scruter Djenyka. “ C’est ultra violent quand même ” susurre à l’oreille une professeure à son collègue.
Les investigations laissent place aux premières menaces : “On m’a prévenu. Si je publiais, on me considérait comme morte.” Intimidation, incendie de son domicile, tentative d’enlèvement, à seulement 24 ans, Djenyka doit quitter pour la première fois son pays et sa famille. “ Ma mère ne m’a pas dit au revoir car elle ne parvenait pas à retenir ses larmes. Parfois quand j’y repense, je pleure. ” conclut-elle avec le ton calme qui la caractérise.
Le récit de Djify a beau se dérouler en RDC, à des milliers de kilomètres de celui de Djenyka, les similitudes sont troublantes. “ Ma vie n’a été faite que de menaces ” introduit-il. Journaliste et activiste environnemental, il a enquêté sur une entreprise chinoise qui exploiterait illégalement du bois. À peine son enquête de terrain entamée qu’il est contraint de fuir jusqu’à se réfugier chez ses parents. Les menaces s’intensifient avant qu’il ne décide de partir : “ Le dernier message que j’ai reçu me disait que s’ils me retrouvaient, je ne serai plus en vie ”.
A son arrivée en France en 2023, Djify passe ses journées dans des médiathèques avant de regagner des gares pour dormir. Des applaudissements en nombre recouvrent sa dernière phrase. Un adolescent prend la parole : “La République Démocratique du Congo est soumise à beaucoup de formes d’impérialisme. Pensez-vous qu’un jour ce pays ne subira plus l’impérialisme ? ” Des rires fusent dans la salle, si les yeux de nombreux élèves s’écarquillent d’étonnement, certains professeurs peinent à cacher leur gêne face à un sujet aussi tabou en France. “J’aime beaucoup ce genre de questions, c’est très intéressant !” salue Djify.
Une fois la première question posée, quantité de mains se lèvent. Votre rapport à la France ? Souhaitez-vous poursuivre votre carrière de journaliste en France ? Êtes-vous encore en contact avec vos anciens collègues ? “C’était super intéressant, on n’a pas l’habitude d’entendre ce genre d’histoires, c’était très touchant.” relate Charline à la sortie de la rencontre. “Je ne savais pas quoi à m’attendre, mais franchement c’était super intéressant, c’était la première fois qu’on parlait à des journalistes. ” raconte Noah, un autre lycéen. Djenyka et Djify échangent avec des élèves, les professeurs les observent : “Je suis content, c’est super instructif pour eux et rare comme intervention”. Les adolescents se dispersent dans les couloirs, les professeurs scrutant dans l’entrebâillement de la porte les derniers qui s’entretiennent avec Djenyka et Djify.
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