Niyaz Abdulla, journaliste irakienne kurde agit pour exposer la vérité, surtout les cas de corruption et de la violation des droits humains. Elle a écrit pour de nombreux médias en Kurdistan Irakien, notamment Radio Nawa, NRT Chanal, Hawlati newspaper. En 2022 elle gagne le prix international de la liberté de la presse, décerné par le comité de la protection des journalistes à New York.
[par Romy Rodriguez Malfilatre, publié le 07/04/2025]

« J’ai quitté le Kurdistan pour assurer ma sécurité et celle de ma famille. J’ai quitté mon pays, mes amis et mon travail et je suis venu en France pour assurer ma sécurité et poursuivre ma carrière de journaliste. » Partir était la dernière de ses solutions, les menaces proférées par les forces de l’ordre du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) l’ont obligé à quitter la région. Ils l’ont menacé d’agression sexuelle, d’emprisonnement, de la tuer et de la déchirer en morceaux si elle « tombait entre leurs mains« . Le danger était tel qu’il lui était très compliqué pour elle de sortir de l’Irak.
Une grande reconnaissance
Elle décrit son exil comme son « sauvetage ». Plusieurs organisations internationales l’ont accompagné et protégé pendant sa sortie de territoire ainsi que son voyage et son arrivé en France. De nombreuses associations l’ont épaulé telles que la Maison des Journalistes, RSF, le Comité pour la Protection des Journalistes, Free Press Unlimited et bien d’autres.
C’est avec beaucoup de reconnaissance qu’elle arrive en France en 2021. « Ce qu’ils font pour protéger les journalistes, c’est un grand devoir, et j’apprécie. »
Elle n’est pas partie seule mais, avec deux journalistes de Badinan; Jalal Baahaldin et Ayhan Saeed. Deux journalistes dont elle parle beaucoup. Arrivée à Paris, la Maison des Journalistes l’a accueilli et lui a permis de « reconstruire une vie en France ».
Un changement de vie
Malgré son arrivée en France, les campagnes de diffamation à son égard ne cessent pas. Le pouvoir kurde irakien continue de la harceler et tente même de hacker ses comptes.
Nyiaz a beau se sentir libre de faire son travail et d’exprimer ses opinions en France, elle est toujours inquiète pour sa famille « à cause de l’oppression des autorités là-bas et mon travail« .
Malgré les menaces, rien ne l’arrête
19 années de travail journalistiques dont elle reste très discrète.
Peu de détails sont partagés sur sa vie d’avant. A présent en France, elle se préoccupe davantage de ses collègues restés au Kurdistan Irakien. La récente adoption de la loi susceptible de légaliser le mariage des enfants l’inquiète énormément : « Cela normalise la pédophilie.”
C’est en 2011 qu’elle connaît sa première altercation avec les forces de l’ordre. Lors d’une manifestation étudiante en 2011, la police la bouscule et lui prend son enregistreur et son appareil photo.
Sept ans plus tard, en 2018, un militaire lui arrache des mains son téléphone alors qu’elle filmait une protestation d’enseignants. Avec l’aide de professeurs, elle réussit à récupérer son appareil. Des militaires en civil et en uniforme la menacent avec un couteau. Le soir même, alertée que les autorités veulent l’emmener de force, elle est contrainte de fuir son domicile.
Le 17 juillet 2019, elle couvre le meurtre un diplomate turc et de deux autres personnes dans un restaurant d’Erbil, connu sous le nom d’affaire Hoqabaz. Celle-ci est arrêtée aux côtés de son collègue journaliste Hemin Mamand. Celle-ci est acquittée par un tribunal d’Erbil en mars 2020, faute de preuves.
Arrêtée à la suite d’une invitation du neveu du président de la région du Kurdistan irakien, le tribunal d’Erbil l’acquitte en mars 2020 toujours faute de preuves suffisantes. Elle subit au cours des six mois de son procès de nombreuses menaces de la part des institutions de sécurité et du plaignant.
Les autorités de sécurité et le parti affilié au Parti démocratique du Kurdistan ont lancé d’importantes campagnes contre elle pour déformer sa réputation sur les réseaux sociaux jusqu’à ce qu’elle quitte son emploi de journaliste, mais elle n’a pas abandonné et s’est battue pour obtenir justice dans son cas.
Niyaz travaille pour rendre justice à tous ces journalistes censurés, emprisonnés, torturés ou encore tués.
En 2021, des journalistes et des militants de la société civile kurde irakienne sont condamnés pour des accusations liées à la sécurité nationale avec des preuves peu substantielles.
Sa position critique vis-à-vis de la répression exercée par le Premier ministre Masrour Barzani contre la liberté de la presse et la liberté d’expression accentue le harcèlement juridique, les détentions et des menaces à son encontre.
Le neveu du président du gouvernement régional du Kurdistan dépose, sans aucune preuve, une plainte contre elle, pour l’intimider et la faire taire.
“J’ai reçu plusieurs menaces de mort, d’agression sexuelles. Ils m’ont dit qu’ils me couperaient la langue si je continuais ainsi. Ils ont tenté de me kidnapper, ils ont menacé de m’expulser d’Erbil, la ville où je vivais. Ils ont travaillé pour me diffamer en diffusant de la propagande sur les comptes de leurs partis politiques.”
Malgré les pressions, elle n’a jamais abandonné : « Il était toujours possible de faire la différence en disant la vérité et en faisant pression pour protéger les droits de l’homme. »
Niyaz a lancé une grande campagne pour le retour des filles et des femmes yézidies kidnappées par les terroristes de l’Etat Islamique : “J’ai sauvé la vie de nombreuses femmes et journalistes grâce à mon travail.”
Une violation des droits humains
Avec l’entrée en fonction de Masrour Barzani en tant que Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan, le 11 juin 2019, la situation de la liberté d’expression et de la liberté du journalisme traverse sa période historique la plus difficile, les restrictions sont la stratégie de son gouvernement et les violences envers les journalistes, de plus en plus nombreuses.
Selon le Syndicat des journalistes irakiens, plus de 500 journalistes ont été tués depuis 2003 et 30 journalistes étrangers travaillant pour des agences étrangères ont été tués dans des villes irakiennes.
Depuis 2020, 81 journalistes et militants civils ont été arrêtés à Badinan. Elle, accompagnée d’autres collègues, fait face à plusieurs menaces et violence.
En 2021, 5 journalistes ont une peine de 6 ans chacun sans avoir commis aucun crime ou qu’il y a d’évidence contre eux. Ils ont juste critiqué la KDP et le traitement des forces spéciales de Badinan et Erbil.
Jusqu’à présent, trois journalistes kurdes ont été tués et pris pour cible par l’État turc à l’aide de drones : Gulistan Tara, Hiro Bahaaddin et Murad Ibrahim, ainsi que le journaliste et écrivain Nagihan Akarsal tué par l’État turc dans la ville de Souleimaniyeh.
Les journalistes Sherwan Sherwani et Qareman Shukri Zaynedin sont actuellement incarcérés par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) dans la région du Kurdistan irakien. Le journaliste, Mohammed Ashkenai a été enlevé à Erbil depuis 2007 et son sort reste inconnu.
Ses projets en France
Elle a toujours essayé d’être une source d’encouragement pour ses collègues et ses proches. Niyaz a un courage peu commun, s’arrêter n’est pas un choix : « J’ai toujours essayé de traduire la pression et le danger en courage. »
Elle travaille désormais comme formatrice dans le domaine du journalisme et des droits de l’homme. Elle s’est améliorée en français, écrit des articles sur l’état de la presse, la guerre et la situation politique en Irak, dans la région du Kurdistan et au Moyen-Orient.
Elle essaie d’obtenir actuellement des opportunités pour travailler dans des médias français : « Je sais que cela requiert un plus grand niveau de français, donc je fais de mon mieux et je continue mes efforts. » En pleine écriture d’un livre, celle-ci a maintenant plein de projets. Elle va continuer à lutter pour la libération de la parole en Irak Kurde : « Sans assurer la sécurité des journalistes, les journalistes ne peuvent pas protéger leur propre vie et faire leur travail sous une constante menace. »
D’après RSF, 98 journalistes ont disparu à ce jour. Dans certaines régions, la peur est constante. Niyaz Abdulla tenait à s’exprimer sur le cas d’Ayhan Saeed, journaliste Kurde Irakien.
« Le Parti Démocratique du Kurdistan a émis à deux reprises un mandat d’arrêt contre Ayhan Saeed. Alors qu’il se cachait dans la ville de Sulaymaniyah, Ayhan a été menacé de mort, de torture et d’arrestation par le parti démocratique du Kurdistan ainsi que leurs force de l’ordre. Ils ont fait irruption dans sa maison et ont enfoncé ses ordinateurs, tout son matériel journalistique et tous ses papiers officiels. Additionnellement, ils ont confisqué une partie de son matériel de presse. Il n’y en avait aucun endroit en sécurité, il a dû fuir la région du Kurdistan. Malgré ceci, les risques restent présents. Je ne veux pas qu’un autre de mes amis journalistes soit tué. Jalal Bahaeddin et moi avons obtenu l’asile politique en France. Ayhan Saeed a aussi un besoin urgent d’arriver ici et d’être en sécurité. Il est toujours menacé et sa vie est en danger, il est donc très important qu’il obtienne un visa d’asile pour venir en France. »
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