Djify Elugba, jeune journaliste et activiste environnemental congolais, est arrivé en France en novembre 2024. Depuis deux mois à la Maison des Journalistes, il nous raconte son parcours, son engagement, et les menaces qui l’ont poussé à quitter son pays.
[par Juliette Durand, publié le 07/04/2025]

Dès le début de ses études, ce jeune homme de 29 ans, calme et souriant, s’est engagé dans une cause qui lui tient à cœur : la défense de l’environnement. Cette cause, il continue de la défendre tout au long de sa carrière de journaliste. Son métier de journaliste et son activisme environnemental ont fait de lui l’objet de nombreuses menaces. Malgré cela, il continue, depuis Paris, son combat et ses enquêtes.
Habillé d’une chemise bleue ciel et un d’un pantalon couleur carmin, Djify Elgugba, jeune homme élancé, s’installe en face de la table placée sous les fenêtres de la mezzanine de la Maison des Journalistes, et commence à nous raconter son histoire.
Né à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), Djify est détenteur d’une licence en sciences de l’information et de la communication et d’un master de communication sociale. Il a ensuite décidé de travailler dans des journaux spécialisés sur la question environnementale, tels que “Environos” ou “Earth journalism network”.
Djifi nous relate, au deuxième étage de la Maison des journaliste, où il réside depuis deux mois, la raison pour laquelle il a choisi de s’orienter vers le journalisme : “ Je tenais à informer la population des problèmes liés à la société et principalement aux questions environnementales.”, nous explique-t-il, arborant un sourire timide.
Dès le début de ses études, la défense de l’environnement a toujours été son combat, sa lutte, le motif de son activisme : “L’environnement me tenait beaucoup à cœur, nous avons un pays où les enjeux liés à l’environnement sont énormes mais dont on ne parle pas assez. C’est ce qui m’a réellement poussé à m’intéresser à ces domaines environnementaux.”
En effet, ces enjeux sont particulièrement importants en RDC, qui a été gâté par la nature en termes de ressources naturelles. On y trouve du diamant, du coltan (utilisé dans la fabrication des ordinateurs, des téléphones, des batteries de voitures
électriques etc), du cuivre, de l’or, de l’énergie hydroélectrique, ainsi que de nombreuses forêts.
“Si l’état ne réagit pas, c’est parce que nous sommes gangréné par la corruption, c’est ça, l’élément moteur de ces enjeux”
Cette richesse attise les convoitises, et les pillages sont multiples, que ce soit de la part des élites au pouvoir ou des entreprises et puissances étrangères. L’activiste et journaliste qui réside à la MDJ nous le confirme: “On a beaucoup de problèmes, notamment le braconnage. Les grandes forêts dans notre pays sont exploitées illégalement”, déplore Djify, alors qu’une ombre fugace traverse son regard.
“Ce ne sont pas des entreprises congolaises qui exploitent les ressources, mais des entreprises étrangères qui s’installent dans notre pays et qui bafouent nos lois, et les pratiques de ces entreprises mettent à mal l’environnement car elles ne respectent aucunes normes”, fustige-t-il.
En plus d’entraîner déforestation, pollution des sols et des eaux, les pratiques de ces entreprises exploitent les travailleurs congolais, qui travaillent dans des conditions dangereuses et précaires.
Corruption et complicité de l’état congolais
“Si l’état ne réagit pas, c’est parce que nous sommes gangréné par la corruption, c’est ça, l’élément moteur de ces enjeux”, nous rappelle Djify Elugba.
Les autorités étatiques choisissent de fermer les yeux, et sont complices à travers leur mutisme, de cette exploitation, de ces pillages, et de ces crimes environnementaux. Elles tentent de réduire au silence les journalistes ou activistes qui s’attachent à dévoiler les pratiques de ces exploitants. Djify et ses collègues avaient beau dénoncer ce qu’ils voyaient, les autorités avaient déjà connaissance de la situation. Pire même, il nous apprend qu’elles ont déjà procédé à des arrestations de journalistes voulant sensibiliser et faire la lumière sur ces exploitations.
Menaces et intimidations
Djify nous raconte, assis en face de la table, que les menaces dont il avait été victime en tant qu’activiste l’ont suivies quand il est entré dans le domaine du journalisme, et elles se sont intensifiées quand il a choisi d’enquêter sur un sujet précis. En juin 2023,
il a choisi de s’intéresser aux exploitations à Lisala, au Nord-est l’est de la RDC, région qui possède de très nombreuses ressources, notamment minières et forestières. Il s’est penché sur le cas d’une entreprise chinoise , qui exploite le bois rouge de manière illégale, dans cette région. Alors que nous lui demandons de nous donner le nom de cette entreprise, Djify préfère ne pas le mentionner, par peur de représailles, et pour protéger sa famille restée en RDC.
Quand il nous raconte son déplacement dans l’est de la RDC, on s’y croirait presque : la région est riche de par sa biodiversité, par les espèces végétales et animales qu’elle abrite, et elle est traversée par le fleuve Congo. “J’ai recueilli des données, on a fait des articles sur la situation, des sensibilisations, on a appelé les autorités » raconte Djify. “J’ai continué à écrire des articles, alors l’entreprise en question a commencé à me menacer et à me traquer.” continue-t-il.
Au vu des menaces qui planaient sur lui, le journaliste a dû rentrer chez lui, à Kinshasa. Mais le danger l’a suivi. “Je suis rentré chez moi à Kinshasa, et les menaces m’ont suivies jusque là bas.” regrette Djify. d’une voix grave.
Dans la mezzanine de la MDJ, sous les grandes fenêtres laissant passer la lumière d’un soleil de printemps, Djifi nous raconte : “Des gens se sont introduits chez moi à deux reprises, j’ai retrouvé les poignées cassées, et ça m’a inquiété”, témoigne-t-il. “Après ces deux intrusions chez moi, j’ai reçu des appels de menace. Ils étaient anonymes, mais je savais de qui ils provenaient. Ils m’ordonnaient d’arrêter d’écrire sur les actes de l’entreprise chinoise installée dans l’est de mon pays.”
C’est quand Djify est en déplacement à Strasbourg, dans le cadre d’une intervention au parlement européen pour sensibiliser sur les pillages environnementaux des entreprises étrangères en RDC, qu’il reçoit un appel décisif : C’est sa famille, qui, paniquée, lui explique que des gens se faisant passer pour des policiers sont venus chez eux, le recherchant. Il comprend alors qu’il est trop dangereux de retourner chez lui, et qu’il devra continuer son engagement et son combat depuis l’étranger, en l’occurrence, la France, pour quelque temps.
De Strasbourg, il rejoint le Mans, où un ami peut l’héberger provisoirement. Après quelques semaines passées chez sa connaissance, Djify ne se retrouve avec d’autres choix que de recourir à l’appel au 115 pour bénéficier, de façon fluctuante, d’hébergements d’urgence.
C’est en février 2025 qu’il a posé ses bagages dans le quinzième arrondissement de Paris, dans une des chambres de la maison des journalistes.
Etat de la liberté de la presse en RDC
Si Djify a réalisé qu’il ne pouvait pas encore rentrer en RDC, c’est parce qu’il savait aussi que la justice et les autorités de son pays n’allaient pas le protéger : “Je savais que j’encourais un grand danger tout en sachant que je n’allais pas avoir une protection, car il est difficile dans mon pays, en tant que journaliste, de bénéficier d’une protection.”
Pourtant, le 4 avril 2023, l’assemblée nationale de la RDC a adopté l’ordonnance-loi n°23/009 du 13 mars 2023, qui fixe les modalité de l’exercice de la liberté de presse, et remplace celle du 22 juin 1996, considérée comme très répressive à l’encontre de la liberté de la presse. Cette nouvelle loi est censée doter la presse d’un cadre légal plus protecteur des journalistes.
Mais la réalité est autre, avec une liberté de la presse qui est “très bafouée, car les lois censées la garantir sont inefficaces ou piétinées, notamment par la corruption” nous rappelle Djify, d’un ton résigné.
L‘ONG Reporter Sans Frontières le confirme : “Il est très fréquent que les autorités locales, miliciens, groupes religieux et politiciens exercent des pressions sur les journalistes et médias” peut-on lire sur leur site internet.

Le témoignage qu’a tenu Djify, assis face à nous, appuyé sur cette petite table placée sous les grandes fenêtres de la mezzanine, nous alerte sur les pillages des ressources qui sont en cours en République démocratique du Congo. C’est ce qu’il veut continuer de faire, en France : sensibiliser, alerter sur la situation, pour que le monde sache. Pour que les crimes environnementaux commis par les entreprises étrangères en RDC s’arrêtent, et ne restent pas impunis. C’est dans cette volonté de sensibilisation qu’il s’est rendu, le 11 mars, aux assises du journalisme à Tours, où il a évoqué publiquement son parcours, ses luttes et son exil.
Son récit illustre aussi l’impérialisme dont est encore en proie la RDC, un impérialisme qui se manifeste par l’arrivée de grandes multinationales étrangères qui exploitent les ressources du pays de manière non durable, où les bénéfices réalisés sont extraites du pays et ne bénéficient pas aux congolais.
A lire également : L’économie de pillage et terrorisme en Afghanistan : Analyse sociologique et impact sur les femmes, les minorités et les conséquences mondiales