Actuel coordonnateur de la plateforme politique LAMUKA, Adolphe Muzito, a mis les pieds dans le plat. En envisageant de faire la guerre contre le Rwanda, pour le retour de la paix à l’est de la RD Congo, à l’initiative de de cette dernière, il a soulevé une question à la fois lancinante et thérapeutique. C’était au cours d’une conférence qu’il a tenue, lundi 23 décembre à Kinshasa.
Pour la conscience collective congolaise, le Rwanda constitue la source principale de grands maux dont souffre le Congo, depuis plus de vingt ans. Pour en finir avec ce calvaire, il faudra absolument, selon Muzito, que les deux pays croisent le fer.
Mais cet homme politique, qui compte parmi les grandes pointures de la scène congolaise, ne s’est pas laissé emporter par un lyrisme populiste. Certes, il a évoqué la guerre, mais aussi le temps pour la réforme d’une armée en lambeaux.
Il est apparu (à l’exclusion de tout sondage à caractère scientifique) que l’idée de faire la guerre au Rwanda était l’idéal pour la restauration de la paix à l’est du pays…
«Si vis pacem para bellum», clame une expression latine. Autrement dit, «si tu veux la paix, prépare la guerre».
Le fond du discours du leader de LAMUKA s’intègre, en partie, dans cette logique. Pour ce faire, le va-t’en-guerre congolais s’est répandu dans toutes les directions.
Il s’est appuyé, notamment, sur l’aspect finance. Car, réformer une armée, tel qu’il le préconise (pour s’engager dans une guerre préméditée), implique beaucoup de moyens à disposition: capacités didactiques dans le domaine militaire et autres; armement moderne, temps de réarmement, moral… argent liquide. Moyens que la RD Congo n’a pas, pour le moment, et qu’elle n’aura certainement pas, à moyen terme.
Quoi qu’il en soit, la proposition de Muzito a plu à la majorité des Congolais. Dès le lendemain, les réactions ont fusé de partout. La diaspora congolaise n’a pas été en reste. Il est apparu (à l’exclusion de tout sondage à caractère scientifique) que l’idée de faire la guerre au Rwanda était l’idéal pour la restauration de la paix à l’est du pays, mais aussi en vue de la réappropriation de la souveraineté nationale confisquée. Autant que pour venger de nombreuses humiliations que le régime en place à Kigali continue d’infliger au peuple congolais.
Epouvantail à moineaux
Les enjeux sont sur la table, comme on dit. Mais si, par hypothèse, cette guerre advenait quelles qu’en soient les circonstances, la RD Congo tiendrait-elle devant l’armée rwandaise ? Question pertinente.
La réponse est non. A moins que le peuple congolais cesse ses divisions mortifères.
A ce propos, l’Histoire nous en dit long. Ce ne sont ni les dimensions géographiques, ni l’importance démographique d’un pays, qui conditionnent la victoire dans une guerre. Et encore moins les ressources financières faramineuses dont il disposerait. Le secret est dans l’unité et la détermination d’un peuple, forteresse inexpugnable des ressources morales qui soutiennent un soldat face à l’ennemi. Surtout quand la cause est juste.
La victoire dans une guerre n’est liée ni au nombre, ni à la puissance des armes, et encore moins à l’intervention de la richesse d’un pays.
«Un soldat sans moral est un épouvantail à moineaux», disait le général vietnamien Nguyên Giap.
Pour étayer notre thèse, évoquons très brièvement deux cas que l’Histoire raconte, lesquels ne manquent pas du piquant. En premier lieu, il s’agit de Numance, une petite ville de l’Espagne antique. Elle résista durant vingt ans, au IIème siècle avant notre ère, face à la puissante armée de conquête romaine.
Cette ville finit par tomber, grâce à des pratiques militaires peu honorables utilisées par le fameux général romain, nommé Maximilien. Il ordonna l’encerclement de Numance, sans laisser aucune possibilité d’approvisionnement en vivres pour ses habitants, pendant plusieurs mois. Nombreux d’entre eux décédèrent par inanition et le reste finit ainsi par se rendre. Avec honneur !
Le deuxième cas, beaucoup plus emblématique, est celui qui se rapporte à la Bataille des Thermopyles, en 480 av. J.-C. L’Empire perse sous Xerxès 1er s’est mis à cœur d’envahir la Grèce, c’est-à-dire les cités réunies d’Athènes et de Sparte. La bataille fut âpre entre dix mille soldats perses (appelés Immortels) contre trois cents combattants grecs, sous le commandement du roi Leonidas. L’enjeu de la bataille: le défilé des Thermopyles, un passage étroit, qui commandait l’accès à la Grèce centrale.
Les «Immortels» furent écrasés comme des mouches par la vaillance de trois cents hommes de Leonidas. La victoire était certaine pour les Grecs, s’il n’y avait eu cas de trahison. En fin de compte, les Perses l’emportèrent, mais sans gloire.
Dans l’histoire contemporaine, sous nos yeux, la puissante Amérique de Trump est en train de plier bagages en Afghanistan, la queue entre les pattes. Après vingt ans d’engagement militaire sans succès contre des groupuscules islamistes.
Ces exemples montrent, en général, que la victoire dans une guerre n’est liée ni au nombre, ni à la puissance des armes, et encore moins à l’intervention de la richesse d’un pays. A l’exclusion, bien sûr, de l’utilisation des armes nucléaires.
Kagame : figure tutélaire
La perspective de guerre entre la RD Congo et le Rwanda, du moins pour le moment et peut-être dans dix ans, entre dans ce cadre. Rien de comparable entre les deux grandeurs, en ce qui concerne leurs dimensions géographiques autant que leur importance démographique.
La RD Congo est, géographiquement, quatre-vingt-neuf fois plus grande que le Rwanda (2.345.000 km² contre 26.338 km²). Pareil pour la démographie dont le premier pays est huit fois plus grand que le second (presque cent millions d’habitants contre douze millions d’habitants).
Les critiques qu’on soulève contre le chef de l’Etat rwandais sur sa dérive autoritaire est indéniable, mais le reste n’est pas si négatif.
Cet ordre de grandeur s’inverse totalement lorsqu’il s’agit de mettre en balance la qualité de l’armée rwandaise et celle de la RD Congo. Pour le moment, le pays de Kagame possède une armée capable de rivaliser avec les armées tchadienne et angolaise. Les deux armées bien organisées et classées en ordre utile, en Afrique subsaharienne, en termes de qualité d’hommes et d’armement. A part l’Afrique du Sud.
Le soldat rwandais est aguerri. C’est quelqu’un qui connaît le chemin des combats, depuis la prise de Kigali en 1994. Ils sont en majorité de l’ethnie tutsie, déterminés à défendre leur droit d’être Rwandais et de vivre dans ce pays en tant que tels. Ils se reconnaissent tous en Kagame, leur figure tutélaire. Et ils sont prêts à mourir pour lui, et pour le Rwanda.
Les critiques qu’on soulève contre le chef de l’Etat rwandais sur sa dérive autoritaire est indéniable, mais le reste n’est pas si négatif. Le Rwanda est en train de se construire sur l’unité de tous les Rwandais, hutus, tutsis et twas.
Ainsi donc qu’il s’agisse d’aujourd’hui ou d’une période de dix ans après, en attendant que la RD Congo se réveille, la guerre contre le Rwanda serait un coup de poker. Aujourd’hui, les troupes rwandaises feraient une promenade de santé, de Goma à Kinshasa.
Dans dix ans, elles entreprendraient la même partie de plaisir, car, Kagame ou ses successeurs auront démultiplié, par dix, la force de frappe de l’APR (Armée patriotique rwandaise). A moins que…
Un effet placebo
Et, alors ? Était-t-il excessif d’utiliser le terme «broyer» dans notre titre ? Que nenni. Loin d’être un jugement de valeur (subjectif), la réflexion livrée ci-haut relève d’une preuve empirique acceptable.
On ne peut parler de réforme de l’armée sans envisager la reconstitution de l’Etat.
Pour le moment, le Rwanda est une puissance militaire en Afrique des Grands Lacs, alors que l’armée congolaise ressemble à une cohorte, couverte d’oripeaux puants, puisqu’uniquement guidée par les intérêts personnels. Sans référence morale.
En cas de guerre, personne n’acceptera de mourir pour Kabila. Ni pour personne d’autre, d’ailleurs, puisque l’Etat n’existe plus. L’Etat -s’il faut le nommer- dont le «sommet illusoire» constitue une caverne d’Ali Baba. Muzito l’a apparemment oublié. On ne peut parler de réforme de l’armée sans envisager la reconstitution de l’Etat.
Tout compte fait, l’adresse du leader de LAMUKA a eu le don de créer un effet placebo dans la conscience du peuple congolais, humilié depuis des lustres par le Rwanda. Par cette simple idée d’évoquer le mot «guerre» contre ce pays, plusieurs Congolais ont chantonné l’hymne national: «Debout Congolais». Thérapeutique !
Cependant, l’avertissement doit rester de mise: la guerre, c’est la guerre. On sait quand elle commence, on ne sait jamais quand elle se termine. Parler «d’annexer le Rwanda» était fort imprudent de la part du coordonnateur de LAMUKA, puisque si les rapports de force ne venaient à s’équilibrer, c’est plutôt le Rwanda qui annexerait le Grand Congo.
Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France