Qu’on le veuille ou non, on est déjà en face du bégaiement de l’Histoire. Certes, à des nuances près. De Moïse Tshombe à Moïse Katumbi – 59 ans après -, il ne reste plus qu’un petit pas à sauter par ce dernier, pour se voir placé sur la ligne de départ de la présidentielle, en 2023. Et tenter ainsi d’accéder au pouvoir. Sera-ce, encore une fois, au mépris de la paix ?
La chose est dans le viseur de l’ex-gouverneur de la province du Katanga, Moise Katumbi. Y arrivera-t-il, compte tenu de l’obstacle majeur, publiquement dressé sur son chemin ? Il s’agit de la proposition de « loi Tshiani », qui préconise l’exercice des hautes fonctions du pays être uniquement le fait des sujets nés « de père et de mère » congolais. Or, Katumbi est de père grec.
Il faut avouer que cette attaque est foudroyante, en dépit de tout ce qu’elle peut avoir d’accent démocratique. Vient-elle, en sourdine, de la présidence de la République, le président Félix Tshisekedi s’étant déjà déclaré partant pour la course, et Katumbi étant son challenger potentiellement dangereux ?
Quoi qu’il soit, on a vite oublié que Katumbi a été le premier à s’opposer publiquement à la toute-puissance du précédent président Joseph Kabila. C’est un va-t’en guerre, un baroudeur et homme à ne pas se laisser marcher sur ses bisées, sans réactions, de sa part. S’il ne l’a pas toléré sous le régime de plomb de Kabila, le ferait-il sous celui de Tshisekedi, dont les bases de la dictature sont encore flottantes ?
La ligne rouge
Sa réponse, dans cet ordre d’idée, à la question lui posée dernièrement par l’hebdomadaire Jeune Afrique (n° 3104, septembre), révèle le degré de sa pugnacité :
— Jeune Afrique : Quitteriez-vous l’Union sacrée (la majorité parlementaire créée par Tshisekedi) si cette loi venait à être adoptée
— Moïse Katumbi : Oui, il s’agit d’une ligne rouge. Si elle venait à être ne serait-ce que programmée pour être débattue au Parlement, nous quitterons la majorité.
Les dés sont-ils jetés ? C’est là une sorte de « Alea jacta est » de Jules César. Un défi direct qu’il lance au pouvoir en place (dont il fait partie). Mais au-delà de cette contradiction apparente, Katumbi n’a jamais été du même bord que Tshisekedi. Il ne pouvait en être autrement quand on sait qu’il nourrissait des ambitions présidentielles, depuis 2015, après avoir rompu brutalement avec Kabila.
Partant, il est peu de dire que les deux protagonistes évoluaient, depuis, dans une atmosphère de guerre larvée, faite d’hypocrisie, dont chacun prévoyait une fin du moins inamicale. Ils savaient tous deux que cette histoire de l’Union sacrée ne les servirait qu’un temps, pour masquer leur différence. Et, sans doute, les préparer avant de monter sur l’arène.
Et donc, c’est en termes de « guerre » qu’il faut analyser les propos de l’ancien gouverneur de province. « Quitter l’Union sacrée », pour Katumbi – et pour nous tous, par ailleurs -, ne signifie pas moins briser la majorité parlementaire actuelle et amener ainsi le chef de l’État à un autre mode de gouvernement pour se maintenir au pouvoir. Katumbi sait ce qu’il dit. Il sait qu’il suffit de provoquer une fissure sur cet assemblage – fait de bric et broc -, pour que l’édifice s’écroule de toute sa laideur politique. Tsisekedi le sais aussi pertinemment bien.
Voilà pour la riposte de l’ancien gouverneur du Katanga ! Ce n’est pas tout. Il garde encore une flèche supplémentaire dans son carquois : il est en capacité, à tout moment, de mener une rébellion sécessionniste du Katanga. On sait qu’ils s’y tassent des « cellules dormantes », disciples d’un « Katanga indépendant », qui n’attendent que la présence d’un leadership puissant et organisé. L’ex-gouverneur de province bouderait-il le plaisir, à travers une telle occasion, de faire pièce à son rival ?
Velléités de séparatisme
En politique, point d’amitié. Sauf des intérêts, dit-on. Rien d’étonnant donc que les deux hommes, les « deux frères », en arrivent aujourd’hui à se regarder en chiens de faïence, aussi discrètement soit-il. Dans son célèbre ouvrage intitulé « Le savant et le politique », Max Weber affirme que « la politique est, par essence, conflit entre les nations, entre les partis, entre les individus ».
Que faut-il en penser, globalement ? À partir de ce point, le spectre des années soixante commence à reprendre chair : situation politique trouble ; acteurs sur scène ne sachant pas ce qu’ils y font ; tribalisme à outrance et velléité de séparatisme, à l’image de Moïse Tshombe, pour la province du Katanga ; Albert Kalonji, pour la province du Kasaï, et même, dans une faible mesure, de Kasavubu, pour la province du Bas-Congo.
De toutes les rébellions, la sécession du Katanga, emmenée par Moïse Tshombe et épaulée ouvertement par la Belgique, fut la plus dure. Elle fut, à partir de 1962, un projet des Congolais, sur la base des ambitions déçues, les Belges n’y ayant occupé que la place du troisième larron, pour piller. La preuve en fut administrée, lorsque sous l’égide de l’ONU, Tshombe accepta de bonne grâce le poste de Premier ministre (1964-1965), sous Mobutu.
Les éléments de similitude entre les deux époques sont du moins frappants, sinon inquiétants. On en prendra quelques-uns pour l’illustration : hier, ce furent les Belges, en position de troisième larron, pour piller, aujourd’hui, ce sont le Rwanda et l’Uganda, se livrant à la même besogne, pour soutenir un régime illégal ; la scène politique brouillée, avec des acteurs jouant le théâtre des ombres ; le retour avec force du tribalisme… et, enfin, les deux « Moïse », avec des ambitions présidentielles en obsession. L’un alla, pour ce faire, jusqu’à monter une sécession.
Histoire des chaumières
Dans la perspective des élections prochaines et de toutes les combinaisons qu’elles impliquent pour donner la victoire aux plus méritants (choisis par le peuple), quelle est la « pensée » du nouveau Moïse ? Va-t-on passer de Moïse Tshombe à Moïse Katumbi, avec élégance, sans recourir à la sécession comme arme ultime, quelles qu’en soient les raisons ? Il faut empêcher l’Histoire de bégayer !
Mais qu’en pense également le président Tshisekedi ? Qu’importe le projet de « loi Tshiani », pour le moment ? Quelle est son urgence, par rapport aux problèmes cruciaux qui accablent le peuple ? Qu’importe le personnage de M. Kadima pour le siège de président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ? Une multitude de Congolais ne peuvent-ils pas assumer ces fonctions avec brio ? Somme toute, des questions solubles. Très solubles.
Devant toutes ces questions de la Cité, il appartient au président Tshisekedi d’apporter des solutions idoines. Et de faire ainsi, tous les jours, le choix entre la place de grands hommes dans l’Histoire et le prestige fugitif, propre à satisfaire les esprits obtus… à loger dans des chaumières.
Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France