De la guerre en Ukraine à la seconde guerre mondiale et au génocide des juifs
Par Thierry Brugvin, Sociologue, Auteur de plusieurs ouvrages, dont « Le pouvoir illégal des élites, Ed. Max Milo »
Une grande guerre sévit aux portes de l’Europe, c’est la guerre en Ukraine. Elle n’implique pas autant de pays que la 1ère et la 2e guerre mondiale, mais de nombreux pays occidentaux sont parties prenantes contre la Russie. Afin de tenter de mieux comprendre ce qui poussent les peuples systématiquement à la guerre depuis des générations, revenons de manière synthétique sur les causes de la dernière grande guerre en Europe. Nous chercherons à en tirer les causes structurelles, sans se perdre dans les faits conjoncturels.
Quel était le but véritable de la 2e guerre mondiale ?
Le mobile officiel pour le déclenchement de cette guerre, proféré par Hitler et les nazis consistait à récupérer la corridor de Dantzig, donnant accès à la mer. Or, il fut confisqué au profit de la Pologne à la fin de la 1ère guerre mondiale. Ainsi, l’Allemagne envahit la Pologne le 1er septembre 1939, ce qui déclencha la 2e guerre mondiale. Il s’agissait donc non seulement de récupérer une partie de son territoire, donc de son peuple et de ses richesses.
D’autre part, il s’agissait de se venger de l’humiliation d’avoir été vaincu durant le 1er guerre mondiale et de l’énorme effort économique pour rembourser les pénalités financières, qui avait appauvrit le peuple allemand. C’était aussi une façon de répondre à la crise financière internationale des années 1930, en pointant en particulier les juifs pour en faire des boucs émissaires. Enfin, il s’agissait à terme de lutter contre le communisme qui se développait en URSS. C’est pourquoi, le pacte germano-soviétique contre la Pologne ne fut qu’une alliance de circonstance, qui n’a tenu que quelques temps.
Mais surtout la 2e guerre mondiale visait à reconquérir le pouvoir économique et politique en Allemagne et dans le monde, en particulier dans les colonies occidentales. Ces dernières permettaient de créer de juteux profits pour les entreprises étrangères. Bien sûr, la quête de purification raciale existait véritablement. Cependant elle restait secondaire par rapport à la satisfaction des besoins politiques, économiques et des besoins psychologiques de pouvoir et de reconnaissance. Ces besoins sont principalement mus par la peur d’être faible et la peur de ne pas s’estimer. Le besoin économique, lorsqu’il est attisé par la peur d’être faible par manque de sécurité, pousse à accumuler pour se sécuriser, ou pour se distinguer dans le cadre d’une consommation ostentatoire, comme l’expliquait Veblen.
A quelles fins, les populations juives ont-elles été persécutées durant la 2e guerre mondiale ?
Officiellement, il s’agissait d’un discours raciste visant à restaurer la grandeur de la race aryenne, c’est-à-dire les blancs aux cheveux blonds et en particulier allemands. Selon les nazis, cela supposait de purifier la race blanche allemande et mondiale, des races inférieures, telle la race juive. C’était une volonté véritable d’eugénisme, mais qui était secondaire par rapport à la volonté d’initier une dynamique de groupe nationaliste autour de boucs émissaires, comme l’expliquait René Girard. De plus, cela eut aussi un intérêt économique, car leurs emprisonnements, puis leurs assassinats ont permis de s’accaparer leur richesse, leurs biens.
En outre, cela permettait de faire travailler les prisonniers des camps de concentration sans les rémunérer, d’accroître fortement les profits des employeurs, par rapport à des salariés classiques. Il s’agit avec les mobiles des guerres en général, de la dimension économique et capitaliste du fascisme et plus généralement de l’économie de guerre. Le fascisme du national-socialisme relevait plutôt d’un capitalisme autoritaire, avec un discours social sans application conséquente. Le National-socialisme n’était donc pas du tout un socialisme économique à la manière de l’URSS.
De plus, sans trop le formuler ainsi, les fascistes s’appuyaient sur une forme de lutte des classes populaires contre ce qu’ils considéraient être la classe des riches juifs, des banquiers juifs. De l’étranger juif cosmopolite, ce qui attisent encore plus le discours xénophobe. Comme si tous les juifs étaient riches et banquiers… Le génocide juif s’appuyait aussi sur le fait qu’historiquement les juifs disposaient du droit de prêter de l’argent avec intérêts, à la différence des chrétiens et des musulmans lequel ceci était mal considéré par leurs valeurs religieuses.
Le génocide visait donc aussi à stopper cette fonction traditionnelle d’usuriers (consistant à s’enrichir par des prêts d’argents avec intérêts). Or, une minorité des juifs était concernée et le capitalisme financier s’avère aussi chrétien et musulman, etc. Il s’agit en fait d’arguments antisémites, qui relèvent de la rhétorique classique des extrêmes droites.
Un autre raison qui a permis de fédérer le peuple allemand et les non juifs, c’est l’antijudaïsme, puis l’antisémitisme millénaire des chrétiens et des musulmans. Les fascistes se sont appuyés sur des conflits idéologiques entre religions et d’une concurrence pour la domination religieuse. Mais à nouveau le prétexte véritable des guerres de religion relève de la conquête du pouvoir économique et politique.
Les méthodes de propagande fasciste usaient de plus sur des grands rassemblement spectaculaires visant à glorifier la puissance, la grandeur, la gloire et l’orgueil nationaliste, le culte du grand homme sauveur, le « marketing », des symboles, tels l’aigle, la croix celtique, croix gammée…), la quête de la reconnaissance par l’accès à des statuts valorisants comme les élites SS ou le parti fasciste, etc.
Ils s’inspiraient en cela des méthodes de marketing de l’industrie des relations publiques, qui furent mises en œuvre en particulier par Edward Bernays, le neveu de Freud. Ce marketing capitaliste visait à manipuler les désirs subconscients des populations afin d’orienter leur consommation en faveur des grandes entreprises, mais aussi de faire élire certains partis dans les gouvernements dits démocratiques.
La projection sur l’étranger (pays, individu…) de ses peurs subconscientes vise à les refouler. Castoriadis nous rappelle que la haine de l’autre est finalement une haine de soi. En effet, la peur de l’étranger, relève de la peur de ce qui est étranger en nous même, de ce qui est différent, de ce que nous ne maîtrisons pas. Pour un homme, ce pourra être sa partie féminine, sa dimension homosexuelle, ses désirs, ses fantasmes, sa peur de la fragilité…
La psychose paranoïaque consiste aussi à projeter sur l’extérieur, ses propres angoisses refoulées, à refuser d’accepter que ses peurs viennent de soi-même, à chercher à contrôler l’autre et toutes les sources génératrices d’angoisse, jusqu’à l’obsession. C’est ce qu’a montré, Freud en mettant en lumière la puissance de notre subconscient sur nos actions quotidiennes.
Tous ces éléments refoulés et inconscients ressurgissent et sont projetés sur autrui, sur l’étranger, sur celui que nous ne connaissons pas nous explique CG. Jung, à la suite de Freud. C’est ce « mécanisme de projection » psychologique, qui vient renforcer nos croyances sociales erronées ou manipulées. C’est donc une technique fort utilisée par nos dirigeants.
Elle consiste à agiter le chiffon rouge, faire monter les passions et entraîner le peuple en guerre, contre l’ennemi extérieur, source de tous nos maux. La « guerre froide » entre l’occident capitaliste et l’URSS sous la dictature communiste stalinienne, fut ainsi renforcée et prolongée entre les deux camps de cette manière notamment.
Certains dirigeants politiques, tel Staline, soumis à des complots et à des attentats réels, finissent par pratiquer des meurtres de masses afin de se protéger de leurs angoisses paranoïaques et pour maîtriser leur environnement proche et lointain.
Nombre de dirigeants politiques ou économiques disposent de traits de caractères névrotiques paranoïaques (et non d’une structure psychotique, qui relève de la « folie »). C’est pourquoi leurs comportements sont alors fondés sur un besoin de contrôle extrême, notamment par l’exercice de la violence verbale ou physique, de la terreur et de la manipulation des membres de leurs groupes ou de la population.
Le besoin de sécurité et de maîtrise, lié au complexe d’infériorité (Adler, 1918), ou aux névroses paranoïaques, vient renforcer le besoin de se surarmer. Ce qui satisfait notamment les intérêts militaro-industriels, car plus les pays se battent entre eux, plus la nécessité de se fournir en armes augmente et plus leurs profits s’accroissent. L’industrie des relations publiques, les agences de marketing, au service des marchands d’armes connaissent ces mécanismes psychologiques et en jouent auprès du public et de la classe des élites des pouvoirs publics et militaires, afin de stimuler leurs ventes à travers la course aux armements.
La violence n’est finalement que l’expression de son besoin de pouvoir et de sécurisation personnelle et collective. Or, pour cesser ce cercle infernal, René Girard, dans son livre « la violence et le sacré », explique qu’il faut casser le cercle vicieux de la « violence mimétique. »
Lorsqu’un individu est agressé, généralement il a peur, donc pour se défendre, se protéger et se sécuriser, il a tendance à agresser en retour. L’agresseur agressé va frapper plus fortement encore durant cette « crise mimétique. » Cette violence en miroir où chacun accuse l’autre d’être le responsable, peut être observé fréquemment. C’est par exemple cas dans l’interminable conflit israélo-palestinien.
Certaines personnes, impliquées dans des violences individuelles ou nationales, cherchent au contraire à « désamorcer » les germes du conflit, afin que cesse cette violence mimétique. Cela suppose d’avoir le courage de ne pas répondre à sa peur par la violence, d’assumer le risque de paraître peureux face à l’agresseur et au regard des spectateurs.
Ce qui implique donc une force intérieure suffisante, une hauteur de vue et une certaine sagesse. Pour cela, il s’agit d’être capable de regarder en face ses véritables peurs personnelles puis de les affronter. Sinon la personne qui les nie, les projettera sur autrui et lui attribuera la seule responsabilité du conflit et de la violence.
De plus, explique Jean Ziegler, lorsqu’une agression s’exerce contre une personne, un groupe d’individu, ou une nation, émerge alors un mécanisme de « résurgence mémorielle ». Il s’agit du retour des blessures nationales refoulées des générations passées, par exemple celle de l’esclavage et du colonialisme. Lorsque cette souffrance refoulée resurgit, alors, cela tend à provoquer des affrontements (mouvements sociaux, terrorisme, guerre…).
Cela se rapproche des processus relevant de la psychogénéalogie, qui viennent expliquer que les histoires des générations précédentes influent sur les descendants, même s’ils n’en sont pas conscients et particulièrement lorsqu’il y a des « secrets de famille. » Chacun des membres d’une famille peut ainsi chercher de génération en génération, à parvenir consciemment ou non, à répondre au besoin de reconnaissance social inassouvi d’un de leurs ancêtres.
Finalement, que peut-on en conclure ?
Que malgré son ampleur, la seconde guerre mondiale répond aux mêmes mécanismes que la plupart des autres grandes guerres. Une volonté de conquête économique est masquée par des motifs secondaires, telles les guerres contre un groupe religieux, ethnique, une ethnie ou une population dissidente.
Mais il y a une cause plus profonde encore, le besoin de dominer à cause de la peur subconsciente d’être faible, le besoin de reconnaissance par l’obtention de distinctions notamment militaires et le besoin de se sécuriser par l’accumulation de richesses. Le génocide des juifs a permis de créer des boucs émissaires pour entrainer et fédérer le peuple allemand, puis d’autres peuples dans la guerre, en maquillant une volonté de pouvoir national et de puissance économique derrière une quête de la pureté raciale.
De même, cette dernière visait la peur de ne pas s’estimer soi même. Pour dépasser les guerres sans fin qui sont aussi vieilles que l’humanité, il s’agit donc pour les humains de parvenir à prendre conscience des causes profondes économiques et psychologiques, qui les poussent à se battre et à tuer. Puis, d’apprendre à coopérer entre individus et nations, plutôt qu’à dominer militairement ou économiquement, par la liberté du plus fort et la compétition commerciale. Ensuite, l’humanité doit parvenir à lâcher prise par rapport à ces actes violents et compulsifs générés par les quatre peurs les plus fondamentales, la peur d’être faible, de ne pas être aimé, de ne pas être estimé et la peur de mourir.
Nous observons des mécanismes comparables dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie.
Le mobile officiel pour les deux camps en conflit consiste à protéger la souveraineté du Donbass et ses frontières. Mais plus profondément, il s’agit de contrôler le Donbass. Il s’agit donc de causes communes à quasiment toutes les guerres, la volonté de conserver ou de contrôler un territoire pour des raisons de pouvoirs économique et politique, mais aussi à cause de facteurs psychologiques de domination et de sécurisation.
De plus, il y a derrière l’implication des grandes puissances, des États-Unis, de l’OTAN, dont la France, une lutte pour le contrôle du monde et un rapport de force entre grandes puissances (Chine, Russie…), pour des raisons économiques. Ces mobiles les plus profonds sont masqués par des discours dont les objectifs s’avèrent en réalité plus secondaires, telles la défense de l’intégrité territoriale, la souveraineté, la protection des peuples opprimés, la lutte pour la démocratie, contre les régimes autoritaires…