Entre campagnes de désinformation et propagande politique, la liberté de la presse s’est considérablement dégradée au Burkina Faso. Les médias français semblent être dans la ligne de mire des autorités burkinabè. Après la suspension de France 24 et de Radio France Internationale (RFI) un peu plus tôt dans l’année, les correspondantes Agnès Faivre (« Libération ») et Sophie Douce (« Le Monde ») ont récemment été expulsées du Burkina Faso le 1er avril 2023. Agnès Faivre a accepté de répondre à nos questions.
Par Andréa Petitjean
La bande sahélienne menace de devenir « la plus grande zone de non-information de l’Afrique » selon Reporters sans frontières (RSF). Les pays du Sahel sont cités comme des « terrains à risque » pour les journalistes, et plus particulièrement le Burkina Faso, le Mali, et le Tchad. Les dangers y sont nombreux pour les professionnels des médias, notamment en raison de la présence de djihadistes dont les attaques sont de plus en plus fréquentes depuis 2015, d’affrontements intercommunautaires sanglants, et de juntes militaires, particulièrement violentes. Les journalistes ne sont plus en sécurité et l’accès à l’information est limité.
Chef d’État du Burkina Faso depuis 2022 à la suite d’un double coup d’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré ne cesse d’accentuer la pression sur les médias. Selon le classement mondial de la liberté de la presse 2023 publié par Reporters sans frontières (RSF), le Burkina Faso occupe la 58è place sur 180, alors qu’il était en 41è position au classement de 2022. Selon RSF : « Que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou au Tchad, à peine sont-elles au pouvoir que les nouvelles autorités cherchent à contrôler les médias au travers de mesures d’interdiction ou de restriction, voire d’attaques ou d’arrestations arbitraires».
Les médias publics sont particulièrement vulnérables au moment des putschs. Les militaires cherchent à prendre le contrôle de la télévision et de la radio nationales afin d’annoncer leur prise de pouvoir et de refaçonner le paysage médiatique du pays. Le journalisme et la liberté de la presse sont menacés, au profit de la propagande.
RFI et France 24 couvrent de près l’actualité africaine et sont deux médias très suivis au Burkina Faso (ou du moins, l’étaient). Jusqu’à présent, un tiers de la population et plus de 60% des cadres et dirigeants suivaient France 24 chaque semaine au Burkina Faso. Mais les médias français semblent être dans la ligne de mire des autorités burkinabè, en témoignent les récents événements :
En décembre 2022, le gouvernement burkinabé a décidé d’interdire à Radio France Internationale (RFI) d’émettre. Le 27 mars 2023, c’est au tour de France 24 de recevoir l’interdiction d’être diffusée. Le gouvernement lui reproche d’avoir diffusé une interview du Chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Mais ce n’est pas tout. Le 1er avril 2023, Sophie Douce et Agnès Faivre, correspondantes pour les médias « Le Monde » et « Libération », ont été expulsées du Burkina Faso. Agnès Faivre a perdu son accréditation après que Libération a publié le 27 mars les conclusions d’une enquête qui a fortement déplu aux autorités. La journaliste, de retour en France, a accepté de nous répondre en interview:
Quels sont les risques encourus lorsqu’on est journaliste au Burkina Faso ?
Il y a une menace sécuritaire dans le pays qui est confronté depuis 2015 à une insurrection djihadiste qui s’est considérablement intensifiée à partir de 2018-2019. Ça se dégrade très vite, 12 régions sur 13 sont plus ou moins intensément touchées par des incidents imputés aux groupes armés terroristes. Il est risqué de se déplacer, d’aller sur le terrain. Très peu de journalistes peuvent se déplacer, certains burkinabè le font mais ils sont très rares. Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, la liberté de la presse et d’opinion ont été progressivement entravées. D’autres risques sont apparus pour les journalistes, avec une multiplication de menaces, pressions, intimidations.
Comment le gouvernement tente-t-il de censurer/contrôler les médias et de faire pression sur les journalistes?
Il y a des pressions directes et assumées des autorités, des rappels à l’ordre fréquents. Des journalistes ont été convoqués au Service de la Sûreté, un service de renseignements, au Conseil supérieur de la communication pour des recadrages, d’autres encore sont poursuivis pour diffamation ou sommés de révéler leurs sources. Lorsqu’un journaliste ne suit pas la propagande du régime, il se fait attaquer sur les réseaux sociaux, voire est accusé d' »apatride ». Il y a enfin des appels à la haine véhiculés sur Whatsapp appelant au meurtre de certains journalistes, ou encore à incendier les locaux de Omega Médias, un groupe audiovisuel au ton très libre.
Quelle est la situation actuelle entre les médias et le gouvernement ? Comment définiriez-vous les relations journalistes-gouvernement au Burkina Faso ?
C’est presque un dialogue de sourds. Les journalistes burkinabè essaient de négocier une plus grande liberté d’expression, des moyens de couvrir ce conflit, un meilleur accès aux sources officielles, qui s’est considérablement réduit depuis septembre 2022. Mais les journalistes burkinabè sont diabolisés, ils ont une faible marge de manoeuvre.
Pour quelles raisons avez-vous été renvoyée du Burkina Faso ?
C’est à la suite d’une enquête parue dans Libération le 27 mars. On a reçu une vidéo dans laquelle un homme filmait sept enfants et adolescents étendus au sol, visiblement morts, les mains ligotées, les yeux bandés. À un moment donné, l‘un d’eux soulève une pierre pour la faire tomber sur le visage d’un enfant prétextant qu’il respirait encore. C’était une vidéo très cruelle dans laquelle apparaissaient des hommes habillés en “demi saison”, en treillis et t-shirts. On a enquêté sur ces exécutions extra judiciaires et on a pu identifier que des éléments de l’armée régulière étaient présents, et que ça s’était produit dans une caserne à Ouahigouya, une ville du nord du Burkina. Peu après l’attaque d’une base de VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) des rafles de dizaines de personnes avaient été organisées dans certains quartiers de Ouahigouya, avec le soutien de l’armée. L’enquête a fortement déplu aux autorités.
Comment avez-vous su que vous étiez expulsée du territoire ?
L’enquête est parue le lundi et le vendredi, j’ai été convoquée à la Sûreté, le service de renseignements. L’entretien a duré 1h30. Le soir, l’agent qui m’avait interrogée s’est présenté à mon domicile pour me signifier, sur le pas de la porte, que j’étais expulsée et que j’avais 24h pour quitter le territoire mais il n’a pas donné de motif ni de document. Dans la nuit, les campagnes de désinformation me ciblant et ciblant Sophie Douce ont commencé. Le jour où j’ai été convoquée à la Sûreté, ils ont également convoqué ma consoeur Sophie Douce (« Le Monde »). On n’a vraiment pas compris pourquoi elle s’est retrouvée associée à ça, “Le monde” n’avait pas enquêté sur cette vidéo.
Les médias français comme RFI et France 24 ont été interdits de diffusion au cours des derniers mois. Ensuite, vous et Sophie Douce avez été expulsées du territoire, alors que vous travaillez respectivement pour Libération et pour Le Monde. Selon vous, la présence des médias français pose-t-elle problème au Burkina Faso ?
RFI et France 24, ce sont eux qui sont ciblés en premier, ils sont accusés d’être impérialistes. Nous (Libération) en presse écrite, on n’avait pas été trop touchés, on pensait être un peu plus épargnés. Mais il y a toute une propagande, un discours anti-impérialiste, il y a toute une logique complotiste qui veut voir la main de la France derrière certains drames qui se déroulent au Burkina Faso. C’est une tendance qui s’est renforcée. Les médias français tant critiqués sont perçus comme complices de cet impérialisme. On est dans la ligne de mire de ce régime là.
À la suite de la suspension de RFI, France 24, et de l’expulsion des correspondantes de Libération et du Monde, l’ONG Amnesty international a appelé les autorités du Burkina Faso à « cesser les attaques et menaces contre la liberté de la presse et la liberté d’expression » le 7 avril dernier.
Si les médias français ne semblent plus être les bienvenus au Burkina Faso, la présence des forces militaires françaises était elle aussi source de fortes tensions.
En janvier 2023, plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Ouagadougou contre la présence française et réclamaient, entre autres, le départ de l’ambassadeur de France, ainsi que la fermeture de la base de l’armée française à Kamboinsin, où sont stationnées 400 forces spéciales. Finalement, le 19 février 2023, le gouvernement burkinabè annonçait le retrait total des soldats français à Ouagadougou, après 15 ans de mission dans le pays. Lorsqu’il était arrivé au pouvoir à l’automne 2022, Ibrahim Traoré avait laissé 30 jours à la France pour retirer ses troupes, soit jusqu’au 25 février 2023.