Cet article a été publié dans Latitudes, le média belge collaboratif des journalistes en exil (membre d’En-GAJE) et des étudiant.es en journalisme de l’Université libre de Bruxelles (ULB/VUB).
Mi-novembre 2022, l’Université de Mons accueillait l’ABSL En-GAJE (Ensemble – Groupe d’Aide aux Journalistes exilés). Trois journalistes sont venus raconter leur exil après une exposition bouleversante. De fervents défenseurs de la liberté de presse et d’expression, jusqu’à en devoir quitter leur pays.
Au sixième étage du nouveau bâtiment de l’UMons, le Rosa Parks, des professeurs, des élèves ainsi que des personnes extérieures visitent la pièce dédiée à l’exposition d’En-GAJE sur le thème des journalistes exilés. Des témoignages poignants sont affichés, accompagnés de photographies qui en disent long.
À 16h30, la présidente de la faculté des Sciences Humaines et Sociales, Manon Libert, saisit le microphone et annonce le commencement de la deuxième partie de l’évènement : la discussion en amphithéâtre avec trois journalistes recueillis par l’association.
Parmi le public qui s’installe dans la salle, le Club de la Presse Hainaut-Mons. Le journaliste Julien Crête prend le rôle de coordinateur de la soirée et s’apprête à introduire les invités. Ce dernier, connaissant leur passé tumultueux, entreprend ses questions avec délicatesse. Peu de gens se doutent de ce qu’ils vont être amenés à entendre.
« J’en garde encore aujourd’hui les traces sur mon corps »
Emmanuel Nlend-Nlend, pourtant fier de ses origines, explique comment il a été amené à quitter le Cameroun. Il était animateur pour « Radio Soleil », il adorait se lever le matin et faire sourire ses auditeurs. Il se servait aussi de son poste pour « gueuler » les éléments qui n’allaient pas dans son pays. Une même présidence depuis quarante ans, un taux de chômage démesuré…
C’est lors d’un matin presque comme les autres que plusieurs hommes en uniforme débarquent dans les bureaux de la radio camerounaise. Emmanuel est embarqué de force et subit deux semaines de torture. « J’en garde encore aujourd’hui les traces sur mon corps », confie-t-il, en tentant de capter le plus de regards possible autour de lui. Alors, pour éviter le pire, il doit fuir. C’est avec une certaine émotion dans la voix qu’il annonce avoir dû laisser son fils de dix mois au pays.
Pas un choix
Lorsqu’un membre du public demande aux journalistes : « Quelles raisons vous ont poussés à choisir de quitter votre pays ? », Joséphine-Jones Nkunzimana affirme que si elle est arrivée en Belgique, ce n’est pas par choix, elle n’a pas réfléchi et ne savait même pas qu’elle était en train de prendre une décision radicale.
Elle travaillait également pour une radio au Burundi et utilisait régulièrement les réseaux sociaux pour y dénoncer les atrocités de son gouvernement. « Je me demande comment les humains peuvent être aussi méchants … Un vrai journaliste se doit de dire la vérité », continue-t-elle.
Fatimetou Sow rajoute : « On l’a dans le sang. » Cette dernière était connue de tous en Mauritanie étant donné que son visage apparaissait tous les soirs sur les écrans lors du journal télévisé. « Je profitais de ma notoriété pour sensibiliser la population sur des sujets comme le mariage forcé et l’esclavage. »
Cela n’a évidemment pas plu aux autorités mauritaniennes. L’incompréhension se lit dans ses yeux lorsqu’elle explique : « Après le mariage c’est le gavage, et après le gavage c’est l’excision. »
Préserver l’identité professionnelle
Lors du vernissage de l’exposition, l’initiateur de Ensemble – Groupe d’Aide aux Journalistes exilés, Jean-François Dumont, raconte la naissance de l’association : « Au départ, il s’agissait de venir en aide à ceux qui était privés de la liberté d’informer. Aujourd’hui, nous leur permettons aussi de préserver leur identité professionnelle, notamment en publiant dans Latitudes. »
« Avancer sur nos libertés »
Alors que Fatimetou et Emmanuel adoptent une position pessimiste quant à l’avenir de leurs pays respectifs, Joséphine, elle, s’exprime pleine d’espoir : « Je pense que dans les années à venir, nous auront des gouvernants qui nous permettront d’avancer sur nos libertés. »
Ils ont tous les trois affirmé que les réalités des Belges différaient nettement des leurs. Ici, la liberté d’expression est commune, même si cette chance n’est parfois pas suffisamment mesurée par les journalistes.
Néanmoins, il faudra se battre éternellement pour empêcher de faire vaciller ce droit si fragile.
Cet article a été rédigé par l’étudiante Emma Consagra de l’option Information et Communication de l’UMons, dans le cadre d’un atelier coordonné par Lorrie D’Addario et Manon Libert.