PORTRAIT. Noorwali Khpalwak, témoin et acteur d’un « âge d’or » de la presse en Afghanistan

Noorwali Khpalwak se souvient, en 2001, lorsque les américains ont débarqué sur le sol afghan, à l’aube d’une “guerre contre le terrorisme” ordonnée la même année par le Président George W. Bush. Néanmoins, il n’en démord pas : la transaction dramatique des pouvoirs qui a bouleversé l’État afghan n’a fait que renforcer les ambitions qu’il a depuis son jeune âge de s’engager en société. Il revient pour l’Oeil sur son parcours et sur sa vision de la situation critique en Afghanistan.


Noorwali naît et grandit en 1988 à Kaboul, capitale de l’Afghanistan et l’une des principales villes marquées par les attentats lors des vingt années de guerre opposant les États-Unis au forces armées islamistes. Une instabilité qu’aujourd’hui le journaliste déplore et qu’il qualifie, par dépit, de “caractéristique” de la longue histoire de son pays natal.

Dès l’enfance j’ai souhaité devenir journaliste : c’était mon plus grand vœu. Je voulais qu’on m’écoute à la radio et qu’on me regarde à la télévision. C’était un rêve pour moi. 

Noorwali Khpalwak

Plus précisément, Noorwali se passionne pour la politique, dans laquelle sa famille baigne depuis des générations. Certains de ses ascendants ont même occupé des postes à hautes responsabilités en Afghanistan tout le long du XXe siècle, de la monarchie islamique au gouvernement communiste afghan pendant la guerre froide. 

Cependant, Noorwali décide très jeune que c’est dans le journalisme qu’il souhaite se professionnaliser, voulant transmettre l’actualité politique à ses concitoyens. De fait, il perçoit les médias comme l’un des moyens les plus nobles de participer à l’organisation de la vie au sein de la société afghane.

Adolescent, il effectue sa première expérience dans ce domaine au sein du département de doublage d’une compagnie de radio-télédiffusion nationale, Ariana Television Network. En 2007, il entame un bachelor en arts au sein de l’université Chaudary Charan Singh basée à Meerut en Inde. En 2010, il retourne à Kaboul et se met aussitôt à chercher un emploi ; emploi qu’il trouvera chez Spogmai FM, station de de radio où il a exercé la fonction de producteur et présentateur d’émissions politiques. Un début de carrière très prometteur qui a permis à Noorwali d’être recruté en 2012 en tant que présentateur d’émissions à caractère politique chez Kabul News TV, chaîne d’information en continu où il devient correspondant en chef pendant les élections présidentielles, parlementaires mais aussi provinciales. En 2017, il reprend les études et poursuit un master en relations et affaires internationales à l’Université d’Afghanistan. 

En parallèle, il est sélectionné en 2018 par le Président même, Ashraf Ghani, pour devenir commissaire à la commission indépendante des élections (IEC), plus particulièrement au sein du comité indépendant médiatique à l’occasion des élections législatives afghanes en octobre. Il était chargé de vérifier et contrôler les comportements des différents médias qui communiquent massivement sur l’actualité politique, et qui étaient soumis à une série de lois à respecter dans le traitement des informations et leur diffusion à la population. En 2019, lors des élections présidentielles, Noorwali obtient un nouveau poste à la IEC pendant près d’un an en tant que chef du cabinet. Cette position qu’il a qualifié de la “plus importante de sa carrière” lui a permis d’être en contact avec la quasi-totalité des acteurs dans cette présidentielle, que ce soit la communauté internationale, les candidats, les ambassades mais aussi les électeurs. A la fin de celle-ci, se retrouvant sans but au sein de l’IEC, Noorwali est promu directeur général de l’information, la radio et la télévision au sein de l’Assemblée nationale du pays, devenant l’un des principaux moteurs dans la circulation de l’information entre les députés, les médias et la population.

Le basculement précipité dans l’exil

Ces vingt dernières années furent l’âge d’or de ma vie.

Noorwali Khpalwak

Néanmoins, en 2021, l’âge d’or qu’il a connu s’est très vite converti en cauchemar. Le 14 avril, le Président américain Joe Biden annonce le retrait des forces étasuniennes du territoire afghan. Avec aucun plan précis d’évacuation, la majorité de la population afghane est délaissée, livrée à elle-même face aux talibans, qui entrent dans Kaboul le 15 août, forçant le Président afghan à s’exiler. Ce jour-là, la réaction de Noorwali, comme celle de nombreux journalistes et autres acteurs médiatiques, était l’incompréhension et la confusion. Bien qu’il y ait eu des rumeurs et des évidences sur cette ascension des talibans, sous-entendue par les précédentes négociations avec l’ancien Président américain Donald Trump, “l’effondrement aussi précipité du gouvernement ne faisait partie d’aucun plan”, affirme le journaliste.

Ce fut une journée sombre et tragique pour mon pays. Nous avons perdu notre gouvernement et notre démocratie. Nos concitoyens ont perdu leur indépendance, leurs droits humains, notamment les femmes. En n’ayant pas le temps de réagir, nous avons fini par tout perdre. L’Afghanistan est devenue une prison pour la population.

Noorwali Khpalwak

En effet, les politiques mises en place par l’Émirat islamique d’Afghanistan dans les semaines qui ont suivi ont entraîné la fuite massive d’individus, notamment des journalistes, à l’étranger. Selon Reporters sans Frontières, en l’espace de trois mois après l’arrivée des talibans dans la capitale, près de 43% des médias afghans ont été rayés du paysage médiatique, sans compter les différentes instances d’abus et de restrictions qui planent sur ce milieu depuis leur ascension au pouvoir. Craignant l’arrestation, la détention et la torture, et ayant même été sujet à deux reprises par des interventions de la Direction générale du renseignement (GDI) à son domicile, Noorwali prend très vite conscience de la cible qu’il est devenu pour les talibans, et prépare son exil. Il se presse de prendre contact avec certaines connaissances travaillant dans les ambassades et des organisations internationales. Ainsi, il obtient une réponse du gouvernement français qui, malgré les difficultés d’accès à l’aéroport, lui permet le 24 août d’évacuer le pays à bord d’un avion militaire, direction Paris en passant par Abu Dhabi.

Un combat au-delà des frontières

Mais les problèmes de Noorwali ne se sont pas arrêtés aux frontières. Une fois en France, en plein contexte de pandémie mondiale, il se retrouve isolé de l’extérieur–mais pas du monde. En effet, il continue à s’informer très méticuleusement sur ce qui se passe dans son pays d’origine. Quelques semaines après son arrivée, l’Office française de l’immigration et de l’intégration (OFII) l’envoie dans un centre de réfugiés à Fontenay-Sous-Bois, en Île-de-France. Dès lors, les priorités de Noorwali se tournent vers ses démarches de régularisation auprès de l’administration française. En parallèle, il doit s’adapter à une nouvelle société, une nouvelle culture et une nouvelle langue. Les deux années qui suivirent furent “compliquées”, raconte-t-il.

Le gouvernement français m’a protégé et m’a permis de trouver un emploi qui me donne un salaire me permettant de subvenir à mes besoins et ceux de ma famille que j’aide à distance.

Noorwali Khpalwak

C’est par une recommandation d’un ami que Noorwali découvre la Maison des journalistes en 2022, et qu’il décide de postuler. Accueilli à bras ouverts, ce fut un grand soulagement pour lui. Pendant un an, l’association l’a accompagné dans son développement social comme professionnel. Ne trouvant pas un média en langue pachto en France, le journaliste a décidé d’ouvrir son propre site web pour traiter de l’actualité afghane, en parallèle des informations qu’il diffuse quotidiennement sur plusieurs réseaux sociaux, notamment X où il est particulièrement actif au sujet des politiques du pays. Il souhaite au travers de ces plateformes proposer une source fiable d’informations à ses concitoyens mais aussi à la communauté internationale au sens large. De fait, il reste en contact avec des organismes internationaux tels que l’Union européenne mais aussi avec d’autres figures politiques afghanes en exil, avec lesquelles il travaille afin de trouver des solutions aux problèmes pesant sur la stabilité de l’Afghanistan. 

Noorwali Khpalwak (droite) en Afghanistan

Nous sommes journalistes et politiciens ; nous sommes ceux qui connectent l’Afghanistan et la France culturellement, socialement et politiquement.

Noorwali Khpalwak

Il garde espoir qu’un jour, l’Afghanistan retrouve un climat de bonne entente et de paix, assez pour qu’il puisse revenir et retrouver sa famille qui elle n’a pas bougée depuis la fin de la guerre. Car Noorwali reste très nostalgique de son passé en Afghanistan. 

En Afghanistan, j’avais une carrière dans les médias : depuis mon arrivée ici, tout a été ramené à presque zéro. Cette vie-là, proche de ma famille, je ne la retrouverai pas en France, malheureusement

Noorwali Khpalwak

Des crises loins d’être résolues

Lorsqu’on l’interroge sur la situation socioéconomique et politique actuelle du pays, le journaliste peine à trouver les mots. Pour lui, elle est trop abstraite pour tomber sous une seule définition. 

En premier lieu, il qualifie les activités des talibans comme “étranges” à échelle nationale, en particulier en termes de politiques mises en œuvre à l’encontre des femmes, des médias et plus généralement des valeurs démocratiques qui se sont presque évaporées sous ce régime. En effet, dans un climat de censure sur de nombreux sujets tels que la religion ou encore le statut des femmes en société, l’Afghanistan connaît un réel cataclysme au niveau des droits humains. Reporters sans frontières, par exemple, place le pays à la 178ème place sur 180 en terme de liberté de la presse et d’expression en 2024, avec surtout de grosses défaillances au niveau social, législatif et sécuritaire. Par l’installation d’une idéologie dans le pays, les talibans privent les habitants de leur esprit critique, voyant toutes leurs sources d’informations surveillées et contrôlées en permanence. Les raisons de ces dérives autoritaires sont surtout “économiques” selon Noorwali, alors que l’économie du pays est dans un très mauvais état, particulièrement dépendante des aides et des financements étrangers. Aujourd’hui, c’est cet enclavement et le repli de l’État sur lui-même qui donne lieu à de grandes injustices socio-économiques dont le journaliste se lamente.

Ils s’emparent des droits du peuple. Les femmes ne sont pas autorisées à aller à l’école, à l’université ou même à travailler : pas même de se rendre dans un parc. On ne les considère plus comme des êtres humains mais comme des outils. D’autre part, certains parents vendent leurs enfants parce qu’ils ont faim et doivent subvenir aux besoins du reste de la famille. Ce n’est pas dans notre culture ; ce n’était pas comme ça avant l’arrivée des talibans.

Noorwali Khpalwak

D’un point de vue régional, l’Afghanistan est un pays aux relations ambiguës. La fédération de Russie, par exemple, entretient des relations diplomatiques avec le pays, ayant même envisagé de retirer les talibans de sa liste des groupes terroristes en mai 2024. D’autre part, le président chinois Xi Jinping a accepté de sa propre volonté que l’ambassadeur afghan vienne s’installer en Chine, notamment pour des raisons économiques, l’Afghanistan étant riche en minéraux. Aussi, l’Inde a annoncé que des consulats talibans, sous le contrôle des talibans, auraient rouvert à Mumbai l’année dernière.

Enfin, l’angle le plus important aux yeux de Noorwali reste la dimension internationale. En effet, malgré leur départ en 2021, les américains maintiennent des relations avec les talibans, organisant souvent des rencontres avec les dirigeants afghans et continuant à leur céder des milliards de dollars. Plus récemment, en juin 2024, les Nations Unies ont organisé une troisième réunion à Doha au sujet de la situation en Afghanistan et les autorités “de facto” qui y siègent. 

Les Nations Unies sont également impliquées dans le problème : par exemple, les Talibans ont été temporairement retirés de la liste noire. C’est entre autres le monde qui est impliqué avec eux.

Noorwali Khpalwak

Nous sommes encore loin d’un idéal dialogue inter-afghan. Les talibans refusent de s’exprimer publiquement si d’autres représentants afghans autres que le gouvernement sont présents pour les écouter, et surtout, s’exprimer. Les talibans peinent encore à assumer leurs crimes, perplexes à ce que la communauté internationale leur reprochent, surtout au niveau socioculturel en vue d’un grave séparatisme subi par les femmes.

Par Benjamin Treilhes

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