Reporter Sans Frontière dresse un bilan sur l’évolution des médias suite à au mouvement #MeToo au travers d’un rapport intitulé “Le journalisme à l’ère #MeToo”. Si les investigations relatives aux droits des femmes et aux violences sexistes et sexuelles sont en nette augmentation, l’ONG déplore les dangers accrus qu’encourent les journalistes désireux d’évoquer ces thématiques.
Le 5 octobre 2017, Jodi Kantor et Megan Twohey publient dans le New York Times leur première enquête sur le célèbre producteur américain Harvey Weinstein accusé alors d’agression sexuelle par une dizaine d’actrices. Au fil des enquêtes, environ 80 femmes l’accusent de faits similaires. En 2023, l’ancien faiseur de rois d’Hollywood était condamné à seize ans de prisons pour le viol et l’agression sexuelle d’une actrice et mannequin italienne. Une prochaine audience prévue le 25 janvier 2025 déterminera la date de son procès pour l’ensemble des accusations.
Cette affaire marque la naissance d’une vague sans précédent de libération de la parole des femmes à propos des violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent quotidiennement : #MeToo. À travers le monde, près de quarante hashtags fleurissent sur les réseaux sociaux tels que Balancetonporc en France, Yaestuvo (Ca suffit) au Mexique, NiUnaMenos au Chili ou encore He4She au Sierra Leone.
Le rapport “Le journalisme à l’ère #MeToo” réalisé à partir des réponses d’un questionnaire envoyé à 113 journalistes vivant dans 112 pays, Reporter Sans Frontière déclare ainsi que 48 % des sondés estiment que le mouvement a eu des impacts significatifs au sein de la sphère médiatique.
Si les articles relatifs à ces sujets ont fortement augmenté, les médias spécialisés dans ces questions ainsi que des collectifs d’après Sophie Boutboul, journaliste indépendante spécialisée dans les violences sexistes et sexuelles, enquêter sur ces thématiques est devenu plus simple après MeToo : “ Les violences genrées sont davantage mises en avant dans la presse depuis 2017. L’accès à des sources ouvertes était aussi moins compliqué puisque des sujets de discussion émergent sur les réseaux sociaux.” explique-t-elle dans le rapport. En parallèle, des médias centrés sur les questions de genre et les luttes féministes ont émergé dans le paysage médiatique, c’est le cas notamment de la revue La Déferlante en France ou de Bilan Média en Somalie.
Toujours plus réprimés
Cependant, le rapport alerte sur les dangers encourus par les journalistes travaillant sur ces sujets. 60 % des sondés déclarent connaître au moins un journaliste victime de cyberharcèlement suite à un article sur les questions de genre ou les violences sexistes et sexuelles.
Mariana Iglesias en a vécu l’amère expérience, la journaliste argentine pour le média Clarín couvrait en 2020 l’adoption de la loi légalisant l’avortement : “ J’ai reçu de nombreuses menaces de personnes et de groupes opposés à ce droit ; des messages sur les réseaux sociaux, des courriels envoyés au rédacteur en chef du journal lui demandant de me licencier en passant par des appels pour me dire d’arrêter d’écrire et de “surveiller mes arrières” sinon “il y aurait des conséquences”, explique cette dernière.
Sophie Huang Xueqin incarne tristement la répression féroce que mène Pékin à l’encontre des journalistes et la voix des femmes. Pionnière du mouvement #WoYeShi (MeToo) en Chine, elle relatait à travers le compte WeChat prénommé “ATSH” (“Anti-Sexual Harrassment soit en français “anti-harcèlement sexuel) l’harcèlement sexuel qu’elle subissait alors qu’elle travaillait dans l’agence de presse. Le 19 septembre 2021, elle est interpellée et sera condamnée en 2023 à cinq ans de prison pour “incitation à la subversion de l’Etat“.
En conclusion de ce rapport, Reporter Sans Frontière promulgue seize recommandations. L’ONG exhorte les Etats à garantir la protection des journalistes travaillant sur ces sujets, préconise la participation des journalistes à des réseaux d’investigation transmédias et internationaux ainsi ou encore introduire dans le droit pénal la criminalisation de certaines formes de cyberharcèlement.
À lire également : INTERVIEW : Grâce Mambu Kangundu, journaliste : ” Ce livre est nos larmes transformées en écrits ”