[Par Raafat ALOMAR ALGHANIM]
Traduit de l’arabe au français par Emmanuelle Ricard.
Le conflit entre l’Orient et l’Occident est antérieur au christianisme et à l’islam. Il s’agit d’une longue histoire.
Avant l’islam, Rome, se sentant menacée par le royaume de Palmyre gouverné par la reine Zénobie et dont les frontières atteignaient les rives du Bosphore, a rassemblé ses troupes pour le détruire. De même, avant le christianisme, Hannibal a tenté de franchir les Alpes avec des éléphants pour détruire Rome, dans une opération qui reflète un entêtement et une grande force de désespoir.
A l’issue de l’une des rencontres auxquelles j’ai participé sur France 24, j’ai discuté avec le présentateur sur le pas de la porte et l’un des invités a dit : « en France, on peut douter de l’existence de Dieu mais on ne peut pas dénoncer l’holocauste ». Le présentateur a riposté : « nous avons fait une émission consacrée à l’holocauste dans laquelle nous avons invité des personnes qui le mettaient en doute ».
Avant, comme après cet épisode, j’avais discuté avec un grand nombre de membres de la communauté arabe et musulmane de France, de ceux qui considèrent que tout ce qui circule dans les médias français est prémédité, et pour cette raison j’avais volontairement critiqué le gouvernement français dans les émissions qui ont suivi en disant : « les français nous ont menti » lors d’une intervention sur la révolution syrienne. J’avais alors fait porter aux services de renseignement français la responsabilité du départ et du séjour des combattants en Syrie, et je leur avais demandé de les faire revenir car certains d’entre eux, une fois confrontés à la réalité, veulent revenir, et j’avais demandé que la route du retour ne leur soit pas fermée.
Des regrets exprimés
Dans ce contexte, j’avais également condamné la déclaration du Président de la République français François Hollande sur les combattants, dans laquelle il disait : « nous les combattons et nous les combattrons ». Ce que j’ai alors oublié de mentionner sur la chaîne de télévision est qu’une partie de ceux qui adoptent l’idéologie de combat le regrettent lorsqu’ils y sont confrontés. Cette idée a été exprimée par l’intellectuel français Régis Debray : « nous nous sommes impliqués comme des révolutionnaires à cause de notre amour de la littérature fantastique. Nous avons découvert que la réalité était différente ». Les textes invitant au jihad et les Dits du Prophète sur les anges et autres miracles ne sont pas loin de la littérature fantastique.
Les responsabilités des Etats-Unis
Lorsque le collègue Tawfiq Majid qui m’a invité à participer à l’émission «l’événement» pour aborder le thème : « l’Arabie saoudite réveille-t-elle les cellules dormantes ? », le débat a été particulièrement intéressant.
J’ai affirmé que les Etats-Unis étaient responsables de la montée du djihadisme car ils avaient développé et renforcé les djihadistes durant la période du conflit contre les Soviétiques en Afghanistan, en collusion avec la famille royale saoudienne. J’ai également affirmé que l’oppression et les expulsions auxquelles sont confrontés les Palestiniens, l’oppression à laquelle sont soumis les ressortissants du monde arabe de la part de gouvernements alliés aux Etats-Unis ont conduit la rue arabe (mais pas tous les Arabes, bien évidemment) à considérer Ben Laden comme un héros et à justifier les actions des djihadistes. J’ai alors cité un propos de Noam Chomsky « les Arabes ont soutenu Ben Laden, non pour ses idées mais à cause de l’injustice des Etat-Unis envers eux », en ajoutant qu’un grand nombre de ceux qui ont soutenu Ben Laden sont bien plus proches de la désobéissance à Dieu que de la religion et de ses enseignements.
J’ai développé ces idées sans être contredit, et lors de mes discussions avec des membres de la communauté musulmane, j’insultais, je discutais, je justifiais l’existence des djihadistes ; et les réponses que j’obtenais n’étaient jamais loin du proverbe « c’est un éléphant, même s’il est rose ».
Mon précédent développement, qui s’appuie sur le point de vue politique et qui a suscité l’intérêt, ne reflète naturellement pas l’intégralité du spectre. En effet, les liens entre le monde musulman et le monde occidental moderne intègrent un grand nombre d’éléments imbriqués et interdépendants, ce qui rend la problématique complexe. Le conflit entre l’Orient et l’Occident est antérieur à l’islam et au christianisme. Avant l’islam, Rome, se sentant menacée par le royaume de Palmyre gouverné par la reine Zénobie dont les frontières atteignaient les rives du Bosphore, a rassemblé ses troupes contre lui. De même, avant le christianisme, Hannibal a tenté de traverser les Alpes avec des éléphants pour détruire Rome, dans une opération qui reflète un entêtement et une grande force de désespoir.
Un autre point, non moins important, est que l’on ne peut omettre ce que j’ai omis volontairement lors de rencontres sur le plateau de France 24, lorsque je m’efforçais de démentir les convictions ancrées dans l’esprit arabe disqualifiant des représentations fondées sur la généralisation aux autres de son propre réel et dont le résultat est que chacun pratique une forme d’oppression et que la vérité est dissimulée. J’avais en effet abordé le volet politique, qui préoccupe les musulmans au détriment du volet idéologique de la civilisation islamique. En effet, celle-ci se trouve encore au stade de l’adolescence politique et intellectuelle contrairement au christianisme et au judaïsme lesquels ont muri et franchi cette étape, ce que montre aujourd’hui le fait que Charlie Hebdo, qui a critiqué toutes les religions, a été attaqué par les seuls musulmans.
L’idéologie islamique en est au stade de l’adolescence
Concernant le volet idéologique que j’avais volontairement omis, il faut préciser que l’idéologie islamique se trouve au stade de son adolescence intellectuelle. Premièrement en raison du faible nombre d’intellectuels et de philosophes dans la civilisation musulmane, dont découle l’absence de critique de la pensée islamique dominante et son maintien sous le joug des préconisateurs de l’islam politique, contrairement au christianisme et au judaïsme qui ont produit un grand nombre d’intellectuels et de philosophes qui ont éclairé le chemin de leurs peuples, comme Spinoza et Voltaire.
Le lecteur ici pourra suggérer de nombreux penseurs arabes, à juste raison, mais, outre leur faible nombre comparativement à l’Occident, ils n’ont pas eu de réel impact dans leur milieu social qui n’a eu de cesse de les refuser depuis la défaite d’Averroès au Maghreb. Lorsque le Calife al-Mutawakkil est arrivé au pouvoir au Proche-Orient, il a combattu les Mu’tazilites qui représentent l’héritage rationnel de la civilisation islamique. En raison du refus des sociétés arabes de leurs intellectuels, on constate qu’un grand nombre d’entre eux a choisi de s’allier avec les dictatures contre le principe de la démocratie dont ils estiment qu’elle ne convient pas à ces peuples.
La deuxième raison est l’absence d’éducation responsable et impliquée dans le développement des sociétés. En effet, l’éducation se limite dans le monde arabe et musulman à glorifier le dictateur. La vie entière est centrée sur ce dictateur qui, lui, se préoccupe de ses plaisirs et de ses affaires personnelles, de son armée, de ses forces de sécurité, et de tous ceux qui s’occupent de sa sécurité et de la sécurité de ce dont il jouit.
Depuis la défaite d’Averroès, l’islam vit une situation de déclin intellectuel, ce qu’a appelé Mohammad Arkoun « le passage de l’âge classique à l’âge scolastique », c’est-à-dire de l’étape de l’effort personnel et de la joute intellectuelle à celle de la répétition mécanique, loin de son époque et ancrée dans le passé.
Après l’attaque terroriste que la revue Charlie Hebdo vient de subir, les interrogations concernant l’idéologie islamique ressurgissent. Dans la cacophonie des voix qui s’élèvent sur ce sujet, une voix arabe s’est distinguée, clamant que les services de renseignement français et le Mossad avaient orchestré cette opération avec pour objectif de ternir l’image de l’islam. Cette voix évite ainsi toute critique de l’islam politique tel qu’il domine actuellement… et peut-être même n’est-elle pas convaincue de ce qu’elle répète. Dans ce contexte, je me souviens avoir discuté avec une personne qui accusait le Mossad et les services de renseignement français d’avoir orchestré l’attaque contre le siège de la revue. Je lui ai alors fait écouter, sur Youtube, ce que prône le wahhabite Mohammad al-Arifi dans lequel il expose la nécessité de tuer tous ceux qui se moquent du prophète Mohammad. Al-Arifi a parlé durant 12 minutes, en citant uniquement des textes musulmans propres à faire naître la ferveur dans le cœur des auditeurs. Après avoir tout écouté, celui qui accusait le Mossad a finalement dit qu’il a été convaincu par le discours d’Al-Arifi.