[Par Léon KHAROMON]
Le prix Christophe Mérieux que vient de lui décerner l’Institut de France permet au monde de découvrir ce chercheur qui consacre sa vie dans la lutte contre Ebola depuis 1976.
Le 26 mai 2015, en France, le Docteur Jean-Jacques Muyembe, directeur à l’Institut national de recherches biomédicales de Kinshasa a reçu le prix Christophe Mérieux pour ses recherches sur le virus Ebola. La Fondation Christophe et Rodolphe Mérieux reconnaît au professeur Muyembe d’avoir contribué à la découverte de cette fièvre hémorragique et d’avoir été le premier chercheur à se rendre sur le site de la toute première épidémie, à Yambuku en RDC en 1976.
Quelques années plus tard en 1995, lors de la deuxième épidémie qui va toucher la ville de Kikwit, au sud-ouest de la RDC, le professeur Muyembe et son équipe ne se font pas prier pour sauver une population en détresse. Depuis lors il a commencé par décrire les manifestations cliniques de la maladie à partir d’observations faites ainsi que les complications tardives, les aspects épidémiologiques, virologiques et thérapeutiques. A l’issue de cette deuxième épidémie, il élabora un ensemble de techniques et une méthodologie efficace pour riposter contre toute nouvelle épidémie, devenant ainsi une référence absolue dans la lutte contre Ebola. C’est pourquoi lorsque l’épidémie qui vient de frapper l’Afrique de l’Ouest pour la première fois se déclare, le médecin congolais, par le biais des autorités de son pays, propose son intervention aux pays concernés (fin décembre 2013). La maladie s’est déclarée en Guinée où le gouvernement, pris au dépourvu, ne peut que constater les dégâts et compter les morts. Très vite, elle se propage en Sierra Leone et au Liberia. Ici, la présidente Sirleaf Johson va lancer un cri de détresse à la communauté internationale pour sauver son pays qui selon ses propres mots « risquait d’être rayé de la carte du monde » à cause d’un taux de mortalité très élevé au début de l’épidémie, si des mesures urgentes n’étaient pas prises.
Dans un premier temps, l’Organisation mondiale de la santé va rester sourde à ce cri de détresse. Quelques ONG internationales, dont Médecins Sans Frontières se rendent dans les pays touchés pour combattre l’épidémie. Sur place, ces ONG seront confrontées au manque de structures sanitaires adéquates, à la méfiance des populations et à leur forte mobilité, alors qu’une riposte efficace contre la maladie nécessite la mise en quarantaine de la population et du territoire touchés. Comme des vases communicants, les populations de trois pays concernés se contaminaient réciproquement à cause de la porosité de leurs frontières respectives. Mais ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls la virulence de l’épidémie et le fort taux de mortalité constaté en Afrique de l’ouest. En novembre 2014, on comptait déjà plus 7.000 morts dans les trois pays évoqués ici.
Riposte défaillante
Dans un rapport publié le 11 mai dernier, un groupe d’experts indépendants mandaté par l’ONU a dénoncé « le retard et les défaillances de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans la gestion de « l’épidémie sans précédent » d’Ebola ». Il a fallu attendre plus de 8 mois pour que l’Organisation Mondiale de la Santé décrète une « urgence de santé publique mondiale » et demande une « réponse internationale coordonnée ». A ce moment là, on comptait déjà plus d’un millier de morts en Afrique de l’Ouest et des villes entières prises de panique, tandis que d’autres se trouvaient au bord du soulèvement, protestant vigoureusement contre des mesures de quarantaine qui risquaient de les tuer de…famine. Ce qui aurait été d’une absurdité totale. C’est pourquoi dans ce rapport, le groupe d’experts indépendants souligne qu’il y a eu « de graves lacunes dans les contacts avec les communautés locales au cours des premiers mois de l’épidémie. »
Les experts avancent une « mauvaise compréhension du contexte de cette épidémie différente des autres, des informations peu fiables du terrain, des négociations difficiles avec les pays concernés, ainsi que des lacunes dans la stratégie de communication de l’OMS ». On peut se demander à ce stade, pourquoi l’OMS et même certaines ONG qui étaient sur place avaient longtemps hésité avant d’accepter l’intervention du professeur Jean-Jacques Muyembe et de son équipe. Est-ce par négligence coupable ou par condescendance, pour ne pas dire par mépris de services proposés par un « médecin du Sud » ? On ne le saura jamais. Pourtant, dès leur arrivée en Guinée, ce médecin, formé à la faculté de médecine de Kinshasa et son équipe ont appliqué une riposte axée sur 4 points.
Maladie « socioculturelle »
Ce quatre points sont les suivants : la reconnaissance de la maladie grâce à une définition simple et adaptée au contexte rural ; la rupture de la chaîne de transmission du virus dans la communauté en isolant le malade dans un centre de traitement ; le suivi des contacts pendant 21 jours et la mise en place des mesures d’hygiène nécessaires pour les enterrements et la sensibilisation des communautés.
Dans une interview accordée à RFI, le professeur Muyembe Tamfum insiste sur la nécessité de sensibiliser les populations concernées avant même de monter des centres de traitement. Selon lui, « Ebola est une maladie socioculturelle ». Les équipes médicales qui se sont ruées en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia n’ont pas tenu compte de certaines mœurs africaines, concernant notamment l’organisation du deuil. Elles étaient certes de bonne foi, mais n’avaient pas impliqué dès le départ les populations concernées dans la lutte contre cette épidémie.
C’est pour reconnaître l’apport exceptionnel du Docteur Muyembe et de son équipe que l’Institut de France lui accorde le prix Christophe et Rodolphe Mérieux. Doté d’une enveloppe de 500.000 euros, ce prix lui permettra de renforcer les équipements de son plateau de travail à l’INRB Kinshasa afin de poursuivre ses recherches. « Nous allons continuer de récolter des échantillons sur les chauves-souris et de les analyser pour vraiment chercher à mettre la main sur ce problème qui reste l’énigme scientifique d’Ebola », dit-il. En entendant, le médecin congolais expérimente une sérothérapie. (Ndlr : un traitement à base du sang d’une personne convalescente). Testée sur 8 malades, cette thérapie en a permis la guérison de 7 d’entre eux…un espoir !