[Par Jean-Jules LEMA LANDU]
« Partira ou partira pas ? ». De type taiseux, par nature, le président congolais, Joseph Kabila, n’a jamais daigné répondre à cette question. A certains médias rompus à l’exercice des questions-pièges, il savait trouver des mots justes pour botter en touche. Place était laissée, alors, à toutes les spéculations, jusqu’au transfèrement impromptu, vendredi 20 mai 2016, en Afrique du Sud, de son principal opposant Moïse Katumbi. Pour « raisons de santé », avance-t-on.
Au fil du temps, cette question devenait lancinante, la présidentielle, prévue en novembre, ne projetant aucune ombre à l’horizon. Or, son second et dernier mandat arrive à échéance, à la fin de l’année 2016. Dans six mois.
Pourtant, vaine était cette question, car, la réponse n’avait jamais été difficile à trouver. Dès lors que le président congolais, par le truchement de ses acolytes, cherchait à modifier la Constitution afin de rempiler pour un troisième mandat, la voie était ouverte pour permettre des déductions solides. Au fait, modifier le texte fondamental ne doit pas être dicté par un motif anodin…
La réponse était donc là, quand, pour des manœuvres électoralistes, il précipita l’application de la division territoriale, en juin 2015, à seule fin de découper la province du Katanga (sud-est) en trois. L’astuce était de mettre hors jeu Moïse Katumbi, ancien gouverneur et transfuge du parti présidentiel, dont la popularité, insolente, commençait à toucher la côte d’alerte pour la survie du régime Kabila.
Dans la peau du fascisme
La réponse était donc là, quand il procédera, ouvertement, à placer à tous les postes stratégiques, pour son soutien politique et militaire, les originaires de la province du Maniema (terres de sa mère). Pour l’illustrer, nous citerons les postes de Premier ministre, de ministre de la Justice, de président de la Cour Constitutionnelle et de commandant de l’Armée de terre. Ces hommes, tous du Maniema, constituent le socle du pouvoir de Kabila, à côté de la Police et des services de sécurité qui sont, eux, dirigés par les originaires de l’ex-province du Katanga, région natale de son père.
La réponse était donc là, quand le régime prenant la peau du fascisme, bâillonnait toute voix discordante et, au pis-aller, réprimait dans le sang toute manifestation populaire contre ses dérives staliniennes. Combien sont-ils aujourd’hui en prison, ces jeunes faisant partie de mouvements citoyens qui pensent, en s’appuyant par ailleurs sur la Constitution, que Kabila n’a plus le droit de se représenter aux élections ?
La réponse n’était-elle pas là, quand Kinshasa, s’étant rendu compte de la pirouette de l’opposant Tshisekedi (en convalescence, à Bruxelles), qui ne voulait plus de la tenue du « fameux dialogue national», s’était échiné à corrompre son entourage ? Qu’aurait-il été, ce « dialogue national », sinon rien de moins qu’une manœuvre destinée à aider Kabila à se maintenir au pouvoir ? Comme vient, d’ailleurs, de le prouver la décision de la Cour constitutionnelle, le 11 mai, statuant sur « le maintien de Kabila à son fauteuil jusqu’à l’élection de son successeur ». Sans préciser le délai. Légitimant ainsi le « glissement » (propre au lexique politique congolais) dont tout le monde prévoyait…et redoutait. Car, du « glissement politique » au « glissement chaotique », il n’y a qu’un petit pas à franchir.
Les épisodes dans ce sens abondent. Mais revenons au « cas Moïse Katumbi », non seulement aujourd’hui à l’affiche de l’actualité, mais également révélateur, sans contredit, des intentions de Kabila de s’incruster au pouvoir. Le feuilleton commence quand l’ex-gouverneur du Katanga décide de claquer la porte du PPRD, le parti présidentiel, en septembre 2015. Dès cet instant, il était déjà dans le viseur de Kabila, et de ce fait, soumis à toute sorte de brimades : suspicions malencontreuses, interpellations à répétition, menaces téléphoniques de mort… La dernière pièce du drame se joue, au début du mois de mai, quand le ministère de la justice procède au tricotage d’une accusation (sans preuve) contre Katumbi, liée au « recrutement de mercenaires étrangers » pour renverser les « institutions démocratiques » de la République, alors que quelques temps auparavant celui-ci venait de se déclarer candidat à la présidentielle.
Attention, avis de tempête !
Là, c’était le bouquet ! Katumbi est traîné devant la justice, à Lubumbashi, capitale de l’ex-province du Katanga. Mais, plus les audiences se multipliaient, plus l’acte drainait des foules devant le Palais de justice. Au point de craindre des émeutes, susceptibles de faire tache d’huile, à travers le pays. D’où la nouvelle de la maladie du « recruteur de mercenaires » et de son transfèrement sans délai, en Afrique du Sud, pour des soins médicaux, assure-t-on. Quelle charité, à rebours, exprimée, du coup, par le même gouvernement accusateur ! En Afrique, on le sait, le mérite d’un adversaire politique, c’est sa mise à mort.
Ainsi, le « cas Katumbi » appelle-t-il trois hypothèses, à notre avis : 1. L’intéressé est réellement malade (il n’est pas un robuste, du point de vue de la santé, c’est vrai) ; 2. Il feint d’être malade pour éviter la gueule de loup (ce qui n’est pas plausible, car c’est un homme de caractère) ; 3. Kabila s’est arrangé pour éloigner un adversaire de poids, autrement dit une « relégation politique » qui ne dit pas son nom. Car, le candidat présidentiel sorti de l’ex-province du Katanga était le seul adversaire qui l’inquiétait, Tshisekedi, 83 ans, n’ayant pas de dauphin à l’aune de son gabarit, J.P. Bemba condamné à 25 ans de réclusion, par la Cour pénale internationale, tandis que le reste des opposants ne représentant que des menus fretins. Dignes, pour le président congolais, de n’en faire qu’une bouchée.
Alors, « partira ou partira pas ? ». Ce qui est sûr, pour tous ceux qui en doutaient encore, c’est que Kabila vient de sortir du bois. Tout est maintenant clair comme de l’eau de roche : « Il ne partira pas », dirait le philosophe. Les exemples du Burundi et du Congo-Brazzaville, juste à côté de Kinshasa, sont d’ailleurs là pour le stimuler à agir dans ce sens. Avec, toutefois, un avis de tempête, à l’horizon… comme au Burundi. Car la jeunesse congolaise, à l’instar de celle de toute l’Afrique, n’est-elle pas restée s’accrocher au vocable magique, forgé en Tunisie, de « UNTEL DEGAGE » ?