[Par Larbi GRAINE, journaliste algérien – larbigra @ gmail . com]
Cette année l’ONU célèbre le 8 mars, journée internationale de la femme sous le slogan de « l’égalité pour les femmes, c’est le progrès pour toutes et tous ». Outre son aspect rituel – rappeler ce que l’Humanité tout entière doit à la gente féminine- le 8 mars est aussi une halte pour évaluer à l’échelle du monde les progrès et les régressions en la matière. C’est forcément le temps des plaintes et des rapports mondiaux sur la question. Et souvent, ce sont les Etats, investis par leur rôle de mauvais pères qui prennent pour leur grade car la mondialisation n’est pas encore parvenue à imposer le même statut de la femme partout dans le monde. La femme est plus ou moins libre selon les cultures. A cette occasion, on aime à se référer à diverses agences spécialisées, qu’elles soient des organisations humanitaires ou même des structures de police dont on s’évertue à citer les chiffres relatifs au nombre de femmes violentées par leur mari, de victimes du harcèlement sexuel, des mariages forcés, de mutilation génitale, etc.
La cause des femmes progresse
Dérogeons un peu à cette règle pour dire que, la cause des femmes progresse, et que sous des dehors de reculade, se cachent parfois des percées notables. D’ailleurs ces statistiques souvent sont rendues publiques afin de mettre au pilori un gouvernement jugé trop répressif envers sa population. L’Egypte par exemple a dégringolé dans le classement en termes de respect des droits des femmes, dès lors qu’on avait compté les femmes qui ont été battues sur la place Tahrir dans ce que les médias appellent le Printemps arabe. Ces statistiques omettent par exemple de faire allusion aux tueries d’hommes comme si les femmes étaient les seules concernées par la violence. Or, c’est connu, il faut du temps pour que le fruit d’une révolution soit cueilli. Retenons plutôt l’appropriation par les femmes égyptiennes de la place publique et des réseaux sociaux. Les organisations humanitaires ne sont pas les seules à manipuler les statistiques. Les gouvernements pour des raisons diamétralement opposées font de même. Ils en usent et abusent pour la consommation interne et aussi pour séduire les instances internationales. Nombre de pays (ils sont parait-il 87 aujourd’hui) ont souscrit au principe des quotas des femmes au niveau du Parlement. Mais souvent ces pays qui se targuent d’avoir tel pourcentage de personnalités féminines dans leur représentation nationale, ont conservé les mêmes mœurs et coutumes, en se gardant d’apporter tout correctif à la matrice idéologique à l’origine de l’asservissement des femmes. Souvent le Parlement en question ne possède aucun pouvoir législatif. Du fait d’institutions démocratiques de façade, la femme se retrouve alors prisonnière du même système. L’Algérie illustre bien ce cas. Quand Abdelaziz Bouteflika projetait de briguer un nouveau mandat, il a engagé une révision constitutionnelle qui introduisait une disposition faisant obligation de faire représenter les femmes par un système de quotas qui, à terme parviendrait à la parité hommes-femmes. Or concomitamment à cette mesure qui donnait pleine satisfaction à l’Occident, le pays connaissait une vague d’islamisation sans précédent, car d’un autre côté, le régime était soucieux de satisfaire l’opinion interne. Il faut dire que les progrès ne découlent presque jamais d’actes volontaristes ou délibérés. C’est l’évolution économique, la diffusion des nouvelles technologies, les progrès de la scolarisation, le salariat qui créent de nouveaux rapports de force dans la société. Un exemple : Vers 2005, le gouvernement algérien avait instruit les banques à l’effet d’accorder des crédits aux salariés (hommes et femmes) justifiant d’un certain revenu pour l’achat de véhicules. Les femmes dont un nombre impressionnant de jeunes filles ont alors souscrit à cette formule. Quelques temps plus tard on allait assister à un phénomène jamais vu auparavant. Des jeunes filles à bord de leur voiture personnelle viennent klaxonner au bas des immeubles pour prendre leurs copines avant de partir en promenade et ce, même en fin de journées. Or ce privilège n’était pas longtemps l’apanage des seuls garçons dont les pères tenaient à mettre à leur disposition leur propre voiture.
L’islam politique a des racines plus profondes
L’œil occidental a tendance à percevoir l’islamisation de la société maghrébine comme un mouvement religieux stricto sensu alors qu’il plonge ses racines dans un fond socioculturel très ancien qui puise ses valeurs dans le système patriarcal. La féminité au Maghreb est associée du reste à des valeurs ancestrales faisant référence au code de l’honneur et au prestige du lignage.
Certes les révolutions et les guerres créent les conditions du dépassement de l’ordre établi. On l’a vu déjà, que ce soit pendant la guerre d’indépendance algérienne ou pendant la seconde guerre mondiale comment les femmes en Europe vont gagner leur liberté en se retrouvant investies par de nouveaux rôles. En Europe, ce mouvement préfigurera d’ailleurs la révolution sexuelle des années 60 qui fera tomber en désuétude le tabou de la virginité qui soit dit en passant est toujours en vigueur sous beaucoup de latitudes, notamment au Maghreb et au Moyen-Orient.
Dans ces sociétés qui pourfendent l’individualisme, sont exaltées les valeurs inhérents au collectif et au communautaire, de sorte que même l’homme est pris dans les rets de l’oppression sociétale. Certes l’homme a tous les pouvoirs, mais il en a moins lorsque par exemple il est célibataire. Le contrôle sexuel étant de mise, les relations hors mariage sont interdites. Il en résulte que l’homme qui demeure dans le célibat, se sentira tout aussi dans la peau d’un être mineur que la femme. S’il possède un chez soi individuel, il devient un danger pour le voisinage qui se croit en devoir de le surveiller. Lorsque parlant de la construction de logements, le chef de l’Etat algérien s’écrie qu’il ne veut plus entendre parler de F1, il ne fait que se ranger à l’avis de la majorité conservatrice pour qui F1 rime avec studio et tout ce que cela peut invoquer comme déviation par rapport à la norme.
La femme-démon
Lorsque l’on pense femme au Maghreb, on pense diable. Passons sur la filiation biblique avec le péché originel, qui valut à Eve et à Adam d’être chassés du paradis. Du reste la fascination pour la femme démoniaque garde tout son sens au plus fort des soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La révolution tunisienne, ce n’est pas uniquement la chute de Ben Ali mais également de son épouse Leila Trabelsi que les chroniques locales ont décrite comme la véritable instigatrice de toutes les conspirations contre le peuple tunisien. Suzanne Moubarak, épouse du raïs égyptien n’a pas échappé au même procès. Femmes manipulatrices, vicieuses et malicieuses, ces reines déchues avaient tenu en laisse leur mari ! Dans la même veine, quoique plus tempérée, les médias français notent « le sens politique » de Carla Bruni dans l’affaire des extraits choisis des enregistrements de Nicolas Sarkozy. « Sarkozy et Carla Bruni, entre mépris du peuple et vulgarité ? » titre le site d’information le Plus, Le Nouvel observateur.
Au Maghreb la femme ne vaut que par la famille
Le chanteur Idir déclame que la femme est une « bombe ». Pour la désamorcer, il faut diluer son individualité, la dissoudre complètement dans la famille. Quand on parle de famille, ça passe mieux car ça alimente un imaginaire de la procréation, où la femme est parée de ses vertus de mère nourricière dont le destin se confond avec celui de ses enfants et de son époux. Point donc de femmes en dehors de la famille. En Algérie, le ministère chargé de gérer les affaires de la femme est dénommé Ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la condition de la femme. Au Maroc, son équivalent est dénommé Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du développement social. Mais celui de Tunisie se mêle de sport ! Il est dénommé Ministère de la Jeunesse, du Sport, de la Femme et de la Famille. Signe tout de même que le pays de Habib Bourguiba a une longueur d’avance sur ses voisins, un secrétariat d’Etat chargé de la Femme et de la Famille a été nouvellement crée. En France c’est plus simple : le département ministériel chargé de la même fonction s’appelle Ministère des droits des Femmes. La détentrice du portefeuille, Mme Najat Vallaud Belkacem, également porte-parole du gouvernement, passe pour être la ministre la plus populaire du gouvernement français.
Le voile, c’est la voile
Vu du dehors les régimes politiques du Tiers-monde paraissent être les principaux obstacles à l’émancipation des femmes alors que les choses ne sont pas aussi simples. Les pesanteurs culturelles sont telles que les Etats sont obligés d’en tenir compte. Les polices politiques s’y maintiennent d’autant plus durablement qu’elles ont développé la capacité de compréhension du système patriarcal dans lequel elles se positionnent en tant que tutrices veillant au bien être général. Ces polices y trouvent donc un terreau fertile pour exercer la tutelle sur des populations qu’elles jugent immatures pour prendre leur destin en main.
L’œil occidental du reste ne distingue guère le foulard kabyle ou la capuche oranaise du hidjab. Tout est amalgamé sous un générique exotique. Si les femmes conduisent et vont au travail et se marient elles le font selon des critères relationnels très anciens. Le voile traditionnel, aujourd’hui quasi abandonné au profit du hidjab, était jadis porté par les citadines et était la marque de l’aristocratie. Toute femme habitant la campagne devait arborer le voile en venant en ville. On le constate aujourd’hui, le hidjab est devenu l’habit qui permet à la femme maghrébine d’aborder la modernité. (Encore qu’il faille faire une autre lecture du voile dans les diasporas).
Or cette fameuse preuve de religiosité qu’est le voile pour les Occidentaux (pourtant métaphore de l’hymen et de la chasteté. Passons sur ses ramifications chrétiennes) ; est devenu au Maghreb, l’alpha et l’oméga d’une évolution inéluctable qui se fait tout de même en sourdine. Tout y est permis pourvu qu’on mette le voile (la voile ?).