« Déjà en Syrie, j’aimais la France. J’avais simplement besoin d’un pays libre »
Nassim a commencé son métier en écrivant pour le journal de son université. Journaliste Syrien, la quarantaine portant une barbe de trois jours, il se souvient de l’engouement et de l’enthousiasme qu’avait suscité la prise de pouvoir de Bachar el Assad au début des années 2000 : « Quand El Assad a pris le pouvoir, il a dit à tout le monde que désormais la Syrie était un pays libre, que la politique allait changer ».
Pourtant, c’est le début de nombreux problèmes pour Nassim. Sous l’ordre des autorités syrienne, la police politique l’arrête. Il passe alors, 74 jours en prison pour avoir exercé son travail de journaliste. « En 2006, j’ai pensé qu’il fallait que je quitte la Syrie, je suis donc parti en Jordanie et en Egypte où j’ai travaillé pour ABC News, un média américain. A cette époque, je continuais à faire des aller-retours en Syrie ».
Jusqu’au jour où il n’est plus autorisé à quitter le territoire. « J’ai décidé d’aller voir les autorités pour comprendre pourquoi mon passeport était refusé et me suis retrouvé à nouveau enfermé dix-huit jours durant lesquels on m’a torturé ».
Malgré les années, les séquelles sont encore visibles sur ses bras et d’autres parties de son corps.
Lors de l’arrivée de l’Etat islamique, en 2014, il se rappelle avoir assisté à plusieurs décapitations : « Ils affirmaient être le nouveau gouvernement. Les corps restaient sur place 2 à 3 jours avant d’être déplacés ». Nassim décide de témoigner de l’horreur à laquelle il assiste auprès de ABC News. Conséquence : Daesh le recherche.
En 2015, alors qu’il revient de Turquie, il est arrêté par des membres de l’Etat islamique : « Toutes les deux heures, de nouveaux prisonniers arrivaient. Dans la nuit, vers trois heures du matin, ils nous disaient qu’ils allaient nous tuer. Plusieurs fois, ils m’ont emmené dans une pièce, ont sorti un couteau et simulé une décapitation sur ma gorge. Parfois, d’autres prisonniers étaient réellement tués, on entendait leurs cris. Je comprends maintenant pourquoi certains otages ne semblent pas effrayés sur les vidéos d’exécutions, ils doivent penser que leurs bourreaux ne les tueront pas vraiment, comme ils l’ont fait avec moi. »
Finalement, Nassim est libéré et s’échappe en Turquie. De là, le journaliste part pour l’Europe et traverse la Grèce, la Macédoine, l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse pour arriver en France. Avec 700 euros en poche, il loge dans différents hôtels avant d’entendre parler de la Maison des journalistes, qu’il rejoindra quelques semaines plus tard. Aujourd’hui, Nassim souhaite vivre ici et reprendre son métier de journaliste pour se reconstruire.
Souvenir :
« Je suis chrétien, je n’ai plus ma place en Syrie. Dans mon pays, il y a dix ans, il y avait un million deux cent mille chrétiens. Maintenant en Syrie, je pense qu’il y a plus que deux cent mille. Un million de chrétiens a disparu. Le problème qui se pose aujourd’hui est surtout ce qu’on va faire après la guerre. La plupart ne veulent pas revenir car ils ont tout perdu. Nous, les chrétiens, on est plus les bienvenues en Syrie.
Quand j’étais petit, je jouais avec mes amis. J’étais de religion chrétienne, un ami était musulman, un autre Yézidis et un autre sunnite ou chiite. On ne demandait pas de quelle religion était chacun parce qu’on ne pensait pas à ça. Quand tout sera fini en Syrie, il en restera des séquelles dans notre mémoire. Pas que pour moi, pour tous les Syriens. Un autre problème qui se pose sont les enfants de l’Etat Islamique. Ils ont été endoctrinés dès leur plus jeune âge. Que vont devenir ces enfants à la fin de la guerre ? Ces enfants ont tué des gens en Syrie. Je les ai vu plusieurs fois jouer au foot avec la tête des personnes décapitées. Que va-t-on faire de ces enfants ?
Je ne sais pas ce que je verrai aujourd’hui si je retourne en Syrie. Je n’ai pas envie de revenir dans mon pays. J’ai envie de reconstruire ma vie en France. Trouver un travail, des amis, une famille. Chaque chose en son temps. »